Demain, dès l’aube, à l’heure où blanchit la campagne,
Je partirai. Vois-tu, je sais que tu m’attends.
J’irai par la forêt, j’irai par la montagne.
Je ne puis demeurer loin de toi plus longtemps.

Je marcherai les yeux fixés sur mes pensées,
Sans rien voir au dehors, sans entendre aucun bruit,
Seul, inconnu, le dos courbé, les mains croisées,
Triste, et le jour pour moi sera comme la nuit.

Je ne regarderai ni l’or du soir qui tombe,
Ni les voiles au loin descendant vers Harfleur,
Et quand j’arriverai, je mettrai sur ta tombe
Un bouquet de houx vert et de bruyère en fleur.

Victor Hugo, extrait du recueil «Les Contemplations» (1856)

 

Analyse : Dans Les Contemplations, la mort de sa fille Léopoldine, inspire à Victor Hugo des réminiscences heureuses et de douloureux cris de désespoir. A la veille du quatrième anniversaire de sa mort, Hugo compose ces trois strophes du poème Demain, dès l’aube d’une simplicité harmonieuse et d’un lyrisme touchant. Avec une détermination qui n’exclut ni l’émotion ni l’imagination, il décrit par avance le cheminement qui le conduira auprès de son enfant bien-aimé. Mais par la magie des images, des rythmes et par le charme du langage poétique, ce voyage vers le souvenir et vers la mort prend la forme d’un poème d’amour et d’une célébration. Hugo illustre ici le pouvoir de la poésie, immortaliser ce que la mort a fait disparaître.


L’auteur : Victor Hugo est né le 26 février 1802 à Besançonet et mort le 22 mai 1885 à Paris. Il est considéré comme l’un des plus importants écrivains français. Il est aussi une personnalité politique et un intellectuel engagé qui a défendu des idéaux de justice et de liberté. Il a lutté pour la paix, contre la peine de mort et en faveur des femmes.

 


Exploitation :

1. Faire dessiner, au fur et à mesure de la lecture magistrale du poème ce qui est dit par le narrateur afin de s’attacher véritablement aux émotions suscitées par son discours. Le narrateur tutoie un interlocuteur restant inconnu, pour lui raconter, de quelle manière il va partir le lendemain dès l’aube et, sans jamais se laisser distraire par son environnement, marcher à travers la campagne pour le rejoindre. Il y a ici, une certaine impatience et de la joie à l’idée des retrouvailles, peut-être un rendez-vous amoureux.

Mais, de manière inattendue, ce voyage s’avère finalement plus tragique qu’on aurait pu l’imaginer, puisque la fin du poème révèle que cette personne chère, à laquelle le narrateur s’adresse et qu’il part retrouver, est en fait morte, et qu’il se rend dans un cimetière pour fleurir sa tombe.

 

2. Donner des éléments de compréhension du poème : À la lumière des événements qui ont marqué la vie de l’auteur, on comprend que ce poème est autobiographique et que Victor Hugo s’y adresse à sa fille Léopoldine, disparue quatre ans plus tôt, et dont il commémore la mort dans un pèlerinage annuel entre Le Havre et Villequier, le village de Normandie où elle s’est noyée accidentellement avec son mari, et où elle est enterrée. Victor Hugo, allait sur sa tombe tous les jeudis.