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John Austin, la parole performative – Parler est-ce le contraire d’agir ?

http://www.ultramuros.ca/documents/Austin-Theo-de-la-communication.pdf

« Oui, je te prends comme épouse« .

La phrase est solennelle. Ce ne sont que quelques mots. Mais elle change toute la vie de deux personnes : elles sont liées par les liens du mariage au moment même où les mots sont prononcés.
Ces mots prononcés lentement à l’église, devant toute l’assemblée sont un acte en soi : elles changent le monde. Ce ne sont pas que des mots qui décrivent le monde. Ils le modifient.
Dire, c’est donc faire. C’est ce que l’on appelle un acte performatoire.
C’est le philosophe anglais Austin qui a découvert ce troublant phénomène.
Focus sur cette formule célèbre « Quand dire, c’est faire »

Au départ, Austin distingue dans les jeux de langage les mots qui permettent de « constater » le monde, et les mots « performatifs », qui ont une dimension active.
Quand je dis « je te félicite », on ne rapporte pas quelque chose, mais on fait quelque chose.

  • Lorsqu’on décrit le monde de manière descriptives, les mots enregistrent un état du monde : world to word.
  • Lorsqu’on agit sur le monde par certaines locutions (performatives), les mots ajoutent un état au monde : word to world.

Les phrases affirmatives ou descriptives ( « la fenêtre est ouverte« ) peuvent être vraies ou fausses.
Les phrases performatives (« la séance est ouverte » ) peuvent réussir ou échouer dans la modification de l’état du monde : si c’est une personne dans le public qui prononce la phrase dans l’assemblée, elle n’a aucune valeur. Si c’est le président de l’assemblée, l’action réussit.

Voilà des exemples de verbes « performatifs » ( qui sont une vraie action quand on les dit ) :
baptiser, léguer, ouvrir la séance, donner un ordre, un avertissement, un conseil, un blâme …

La coupure sémiotique effacée.

La coupure sémiotique distingue le mot de la chose qu’on décrit ( « la carte du territoire » ). Les phrases descriptives utilisent des mots qui se détachent de la réalité. Les mots permettent de se couper du monde, de le maîtriser en nommant les choses.
Voilà l’importance de maîtriser le langage. Non qu’on paraisse plus intelligent en utilisant des mots compliqués, ou variés.
Mais ils permettent de saisir la réalité. Exemple : nous européens avons peu de mot pour parler de la neige, car c’est un phénomène épisodique dont on s’accommode bien. Les esquimaux, eux, ont des dizaines de mots pour le mot neige, pour pouvoir en exprimer toutes les subtiles différences. Pour les esquimaux, c’est important, dans le monde physique dans lequel ils vivent.
La maîtrise du monde passe donc par cette séparation des mots qui décrivent le monde.
Dans les phrases performatives, au contraire, la réalité se confond avec les mots :
« Je vous félicite » confond les 2 niveaux : la phrase énonce un acte qui n’est autre que cette énonciation. La représentation de ce qu’on dit et les mots se mélangent. On a là une « auto-référence ».

La découverte d’Austin a eu une grande influence lorsqu’il fit sa première conférence.
Quand dire c’est faire, la formule choc, qu’on découvrira plus longuement dans le texte original d’Austin.

Le langage décrit la chose, l’énonce. Il est extérieur au réel, et a une valeur énonciatrice. La découverte d’Austin, philosophe anglais, est ce qu’on appelle « les énonciations performatives ». Lorsque je dis « oui, je te prends pour épouse », il ne s’agit pas de décrire une chose, ou faire un reportage sur le mariage, mais il s’agit d’un acte. On ne décrit pas l’état des choses, mais on modifie l’état des choses et du monde. S’unir à jamais avec l’être aimé.

Austin découvre la distinction entre les 2 jeux de langage : le constatif et le performatif.

En ce sens, il ouvre une nouvelle réflexion sur la communication qui  n’est pas qu’échange des messages, des informations, mais produire le monde.

Sa première conférence part de l’histoire des philosophes qui se limitaient à définir si une chose est vraie ou fausse ; qu’il n’y a qu’affirmation [ statement ] qui ne pouvait que « décrire » un état des choses. Austin découvre que parler, c’est agir.

Pour les philosophes, certaines affirmations, douteuses, étaient reléguées au « non sens ». Il s’agit des affirmations, avec les auxiliaires « pouvoir » ou « devoir », souvent des phrases à la 1ere personne du singulier de l’indicatif présent. Austin considère qu’à force de les mettre de côté, ces affirmations douteuses doivent être analysées…

Catégorisation des énoncés performatifs.

« on peut trouver des énonciations qui satisfont ces conditions et qui pourtant :

A)     Ne décrivent, ne rapportent, ne constatent absolument rien, ne sont pas vraies ou fausses ; et sont telle que

B)      L’énonciation de la phrase est l’exécution d’une action ( ou une partie de son exécution ) qu’on ne saurait décrire tout bonnement comme étant l’acte de dire quelque chose.

Exemples :

E, a ) : Oui [ je le veux ] ( c’est-à-dire je prends cette femme comme épouse légitime ) ; ce « oui » étant prononcé au cours de la cérémonie de mariage.

E, b) : « je baptise ce bateau le « Queen Elizabeth », comme on dit lorsqu’on brise la bouteille contre la coque.

E, c) : «  je donne et lègue ma montre à mon frère », comme on peut lire dans un testament .

E,d) : «  je donne et lègue six pence parce qu’il pleuvra demain ».

Pour ces exemples, il semble clair qu’énoncer la phrase ( dans les circonstances appropriées, évidemment ) , ce n’est ni décrire ce qu’il faut bien reconnaître que je suis en train de faire en parlant ainsi, ni affirmer que je le fais : c’est le faire. »

Les énonciations ne sont ni vraies ni fausses. Austin appelle ces énonciations comme phrase performative , dérivé de l’anglais « perform », action.

D’autres termes sont possibles : énonciations « contractuelles » ( « je parie »), ou déclaratoires ( « je déclare la guerre »). Voire l’impératif.

Prononcer ces mots peut être capital ( comme le message ou la déclaration de guerre ).

Austin insiste que les circonstances doivent être appropriées. Pour se marier, il faut que je ne sois pas déjà marié ( au sens chrétien ). Pour déclarer la guerre, il faut que je sois bien la personne appropriée ( un chef d’état ). Pour un pari, il faut qu’il y ait un partenaire qui l’accepte ( je dis « d’accord » par exemple ). Austin précise encore que ces mots doivent être prononcés « sérieusement », et qu’il s’agit d’un acte intérieur, voire spirituel. «  Notre parole, c’est notre engagement ».

Austin parle des conditions de « malheurs » ( infelicities ) que rencontrent les propositions performatives. Lorsque les conditions ou contexte ne sont pas réunis, ces propositions sont « malheureuses » car déplacées, sans action. Par exemple, si la phrase « la scéance est ouverte » est prononcée par le président autorisé de l’assemblée, un nouvel état au monde apparaît ( la réunion débute ). Par contre si c’est le pompier de service qui l’annonce, la proposition performative est nulle.

L’énonciation vraie ou fausse de ces affirmations n’a pas lieu d’être. « en aucun cas nous ne disons que l’énonciation était fausse », mais plutôt que l’énonciation ou mieux l’acte ( la promesse par exemple ) était nulle et non avenue [void], ou non exécutée.

La découverte des énonciations ( et non des énoncés ) performatives a eu un grand retentissement, à l’époque, et une grande influence de John L. Austin ; bien que ce philosophe anglais soit mort à 48 ans.

Le pouvoir des mots, ou l’insulte comme agression.

L’insulte est une expression, un comportement dégradant, offensif vers celui à laquelle on l’adresse.

L’insulte est en ce sens un acte performatoire : celui qui veut insulter veut déstabiliser, anéantir celui à qui l’insulte est adressée. Et c’est le cas, souvent. A « Sale Pédé », ou « Sale noir », ou « salope », l’insulté intègre ces mots, et le change même physiquement : peur ,  suée, colère.

Les mots ont ainsi une valeur d’action réelle, ici évidemment nuisible.

Cf article sur l’insulte.

  « Quand dire, c’est faire »

On considère généralement quela théorie des actes de langage est née avec la publication posthume en 1962 d’un recueil de conférences données en 1955 par John Austin, How to do Things with Words. Le titre français de cet ouvrage, Quand dire, c’est faire (1970), illustre parfaitement l’objectif de cette théorie : il s’agit en effet de prendre le contre-pied des approches logiques du langage et de s’intéresser aux nombreux énoncés qui, tels les questions ou les ordres, échappent à la problématique du vrai et du faux. Dire « Est-ce que tu viens ? » ou « Viens ! » conduit à accomplir, à travers cette énonciation, un certain type d’acte en direction de l’interlocuteur (en lui posant une question ou en lui donnant un ordre).

Les énoncés auxquels Austin s’est intéressé en tout premier lieu sont les énoncés dits performatifs. Un énoncé performatif, par le seul fait de son énonciation, permet d’accomplir l’action concernée : il suffit à un président de séance de dire « Je déclare la séance ouverte » pour ouvrir effectivement la séance. L’énoncé performatif s’oppose donc à l’énoncé constatif qui décrit simplement une action dont l’exécution est, par ailleurs, indépendante de l’énonciation : dire « J’ouvre la fenêtre » ne réalise pas, ipso facto, l’ouverture de la fenêtre, mais décrit une action. L’énoncé performatif est donc à la fois manifestation linguistique et acte de réalité.

Les exemples d’énoncés performatifs sont nombreux : « Je jure de dire la vérité », « Je te baptise », « Je parie sur ce cheval », « Je t’ordonne de sortir », « Je vous promets de venir », etc. Dans le détail, l’identification et la caractérisation des énoncés performatifs se heurte à un certain nombre de difficultés. D’une part, les performatifs ne sont tels que dans des circonstances précises, car ils doivent répondre à des conditions de « succès » : seul le président devant l’assemblée réunie peut dire avec effet « Je déclare la séance ouverte »

Ainsi, lorsque le maire prononce la formule rituelle « je vous marie », il marie par la seule énonciation de cette phrase ; même chose lorsqu’on baptise un enfant ou un navire, lorsqu’on fait une promesse, etc. Mais seules les personnes habilitées et dans le contexte prévus assurent la « félicité » de l’action.

http://philocite.blogspot.fr/2016/03/commentaire-dans-quand-dire-cest-faire.html

https://fr.wikipedia.org/wiki/John_Langshaw_Austin

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Parler au nom du peuple …

http://www.europe1.fr/emissions/la-morale-de-linfo/le-reve-du-candidat-du-peuple-cest-le-pouvoir-absolu-2870749

Pourquoi pas le populisme ?

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1984 Orwell- Le discours totalitaire

https://www.franceculture.fr/litterature/la-novlangue-de-george-orwell-donald-trump

https://www.librairal.org/wiki/George_Orwell:1984_-_Appendice_-_Les_Principes_du_Novlangue

https://www.youtube.com/watch?v=MUsBJyMtrFs

Béatrice Turpin. Le langage totalitaire au prisme de l’analyse de discours. Synergies Monde, GER- FLINT, 2013. hal-02403470

 

Le philologue allemand Victor Klemperer a tenté de répondre à cette question en analysant les discours nazis de 1933 jusqu’à la chute de régime hitlérien. Il recense les principaux processus observés et montre comment le discours totalitaire en vient à transformer la langue et la manière de penser à partir d’une rhétorique du consentement qui tire sa force de son « effroyable homogénéité » et de son caractère plurisémiotique.

C’est un discours total, ou du moins une de ses caractéristiques, qui est de ne souffrir d’autre interdiscours que du même – d’où censure, emprisonnements, meurtres, voire autodafés qui visent à exterminer à la fois symboliquement et dans le réel toute parole qui ne serait pas conforme. Là encore, Klemperer commente :

« [La LTI] s’empara de tous les domaines de la politique, de la jurisprudence, de l’économie, de l’art, de la science, de l’école, du sport, de la famille, des jardins d’enfants et des chambres d’enfants. (La langue d’un groupe ne recouvrira jamais que les domaines sur lesquels s’étendent ses liens, et non la totalité de la vie). (LTI : 45) »

Le discours totalitaire serait donc un discours qui vise à abolir une interdiscursivité ouverte sur la pluralité des discours possibles, ouverture qui permet une pensée créative ou contestataire – les deux étant non dissociables. Il s’agit, comme l’écrit Klemperer, de « transformer l’individu en tête de bétail, sans pensée ni volonté, dans un troupeau mené dans une certaine direction et traqué, faire de lui un atome dans une pierre qui roule (LTI : 49). »

la répétition du même dans toutes ses dimensions lui est nécessaire pour enfermer la pensée, d’où l’importance de l’organisation. Klemperer parle de la « manie de tout organiser et de tout centraliser » (LTI : 143) et de l’importance de la mise en scène : un « mélange de mise en scène théâtrale et religieuse » (LTI : 62).

En un certain sens, on peut considérer la place du marché solennellement décorée, la grande salle ou l’arène ornée de bannières et de banderoles, dans lesquelles on parle à la foule comme une partie constitutive du discours lui-même, comme son corps. Le discours est incrusté et mis en scène dans un tel cadre, il est une œuvre d’art totale qui s’adresse simultanément à l’oreille et à l’œil, et à l’oreille doublement, car le grondement de la foule, ses applaudissements, ses protestations agissent sur l’auditeur aussi fortement, si ce n’est plus, que le discours en soi (LTI : 83-84).

La LTI « imprègne les mots et les formes syntaxiques de son poison, elle assujettit la langue à son terrible système, elle gagne avec la langue son moyen de propagande le plus puissant, le plus public et le plus secret ». (LTI : 41) Des mots nouveaux font leur apparition, ou des mots anciens acquièrent un nouveau sens particulier, ou de nouvelles combinaisons se créent, qui se gent rapidement en stéréotypes […] On pourrait faire le lexique de cette nouvelle langue. (LTI : 57)

L’exemple de Volk « peuple » illustre bien ce phénomène. À partir de ce terme on passe, par dérivation et glissement sémantique, à la notion de race avec Volksgemeinschaft « communauté du peuple », volksfremd « étranger au peuple », volksentstammt « issu du peuple » (LTI : 58) – ainsi s’introduit, à partir d’une forme et de ses nombreuses déclinaisons, toute la pensée völkisch, avec l’assimilation du peuple à la race3. Parmi ces constellations de vocables qui se renforcent mutuellement, car appartenant à la même formation discursive (« tout nageait dans la même sauce brune » (LTI : 36)), l’ouvrage mentionne également Volksgenosse « camarade du peuple », Rassegenossen « camarades de race » (LTI : 58), artvergessen « perdues pour l’espèce » (LTI : 142) ou artfremd « étranger à l’espèce » (LTI : 57). Relèvent de ce même champ, par association à partir du signi é ou du signi ant, la partition « aryen », « non aryen » ainsi que les concepts de « pureté » [Reinhaltung], « juif complet » [Volljuden], « demi-juif » [Halbjuden], « juifs de souche » [Judenstämmlinge] (LTI : 224), « racialement inférieur » [niederrassig], « souillure raciale » [Rassenschande], « de sang allemand » [deutschblütig], « nordique » [nordisch] (LTI : 134). Les processus morphosyntaxiques qui sont à la base de la créativité linguistique permettent à l’idéologie nazie d’essaimer dans la langue et d’être ainsi naturalisée dans son lexique. Klemperer parle d’un « poison » qui s’in ltre et de « formations analogiques mécaniques » (LTI : 165).

L’attention est particulièrement portée sur les mutations des valeurs induites, voire leur inversion. Un exemple marquant est celui de fanatique : « jamais, avant le Troisième Reich, il ne serait venu à l’esprit de personne d’employer «fanatique» avec une valeur positive […] «Fanatique» a été durant toute l’ère du Troisième Reich un adjectif marquant, au superlatif, une reconnaissance officielle […] toute connotation péjorative, même la plus discrète a disparu dans l’usage courant que la LTI fait de ce mot » (LTI : 92). Cette valeur superlative est renforcée quand un substantif intensif est lui-même suivi d’un adjectif à valeur évaluative intensive comme dans « fanatisme sauvage (LTI : 93). Toujours à propos de fanatique, Klemperer écrit : « Dans la presse quotidienne, le mot fut employé sans plus de limites […]. Cette fréquence du mot dans le champ politique allait de pair avec son emploi dans d’autres domaines, chez des nouvellistes ou dans la conversation quotidienne » (LTI : 93). Maintes fois réitéré, de signe plein, le mot en arrive ensuite à devenir vide car répété mécaniquement. Ainsi Göring est-il quali é d’« ami fanatique des animaux » (LTI : 93). Klemperer cite également le verbe aufziehen « monter », dont le sens métaphorique de négatif est devenu positif – ainsi dans groß aufgezogen « monté de toutes pièces » : « à présent aufziehen exprimait un acte parfaitement sincère » (LTI : 78). Nous citerons également l’exemple d’« humanité » [humanität] qui le plus souvent est accompagné d’une épithète à valeur infamante, comme dans eine giftige Juden-humanität « humanité juive empoisonnée » (LTI : 189). Ces mutations sémantiques, dont nous n’avons relevé ici que quelques exemples, affectent des termes dont le sémantisme est souvent vague. La profusion des formations relevées souligne l’emprise de l’idéologie et leur rôle dans la persuasion4.

Le terme historique, avec une valeur superlative, est également abondamment répété, comme le sont les « cérémonies of cielles » (LTI : 154) : « une cérémonie of cielle a une signi cation «historique» particulièrement solennelle […], chaque vétille […] acquiert une signi cation «historique» » (LTI : 75-76). Au sein de ces termes à valeur intensive, Klemperer note l’importance des superlatifs visant à la divinisation de l’ère hitlérienne (LTI : 165). Parmi ceux-ci il relève le quali catif éternel « on pourrait citer «éternel» comme l’ultime barreau sur la longue échelle des superlatifs numériques nazis, mais sur ce dernier barreau, le ciel est atteint. «Éternel» est l’attribut du Divin uniquement ; ce que je nomme éternel, je l’élève dans la sphère du religieux » (LTI : 154). Les dérivés du terme font également partie du vocabulaire de base du discours nazi, de même que tous ceux appartenant au champ sémantique de la religion : Hitler, présenté comme le « Sauveur », les références à la Providence, aux « apôtres », le vocable de « Troisième Reich » lui-même ; toutes ces appellations ont une dimension d’emphase religieuse (voir LTI : 154).

La généralisation ou l’amalgame : Dans son ouvrage, il relève l’omniprésence des discours sur « le » juif. L’emploi de l’article catégorisant permet d’universaliser le rapport posé entre sujet et prédicat auquel est attribué dans le cas présent un contenu stigmatisant. Il permet alors de déterminer l’autre comme problématique et donc de donner une valeur dévaluative au nom qu’il détermine. C’est cette catégorisation qui permettra à l’Allemagne nazie d’amalgamer tous les adversaires en un seul ennemi (LTI : 232). L’adjectivation avec amalgame, que l’on pourrait également appeler cadrage par association, a une même fonction. Klemperer cite les exemples de « judéo-maçonnique, judéo-bolchevique, judéo-marxiste, judéo- capitaliste, judéo-anglais… » (LTI : 232 ; 234).

Le recadrage : ici ce n’est pas la valeur des termes qui est affectée, mais le rapport sujet-prédicat. Ainsi la victime devient-elle coupable et inversement. Les nazis « se défendent » « ripostent » (LTI : 232) ; il s’agit d’une « guerre juive » [jüdische Krieg] (LTI : 135), à l’encontre des « pacifiques nazis » [friedliebenden], de l’« insondable haine des juifs » [abgrundtiefe Hass] (LTI : 232). Peut entrer dans cette catégorie le syntagme « expédition punitive » [Strafexpedition] : punir présuppose un coupable et il y a quelque idée de bravoure derrière le terme « expédition » ; Klemperer commente : « Tout ce que je pouvais imaginer d’arrogance brutale et de mépris envers ce qui est étranger à soi se trouvait condensé dans ce mot (LTI : 73). Il en est de même du terme « propagande » qui désigne le discours de l’adversaire

-référence à l’organique

Ce qui est propre à l’idéologie totalitaire, c’est son caractère fermé à toute altérité. Rêve de totalité et de fin de l’histoire. C’est également le détournement du raisonnement dans la violence par la naturalisation du mortifère et une rhétorique du consentement

Klemperer a pu se demander comment cette influence s’est exercée et parler des efforts constants de la rhétorique nazie pour mystifier et engourdir les esprits (LTI : 194).

Par la répétition d’abord, comme nous l’avons vu, par la simplification ensuite et l’effacement de toute manière alternative de dire, par le vague et le recours aux émotions.

Cf La psychologie des foules de Gustave Lebon, parue en 1895 et largement diffusée dans les pays de langue allemande depuis sa traduction en 1908. Dans cet ouvrage, Le Bon mentionne les facteurs permettant de mobiliser une foule : l’affirmation, la répétition, la simplification, l’uniformisation, le vague et l’appel aux sentiments.

-L’affirmation pure et simple, dégagée de tout raisonnement et de toute preuve, constitue un sûr moyen de faire pénétrer une idée dans l’esprit des foules. […] Les livres religieux et les codes de tous les âges ont toujours procédé par simple af rmation. […] Les hommes d’État appelés à défendre une cause politique quelconque, les industriels propageant leurs produits par l’annonce, connaissent la valeur de l’af rmation. […] La chose af rmée arrive, par la répétition, à s’établir dans les esprits au point d’être acceptée comme une vérité démontrée. (Le Bon : 73)

-Plus l’information est concise, dépourvue de preuves et de démonstration, plus elle a d’autorité. […] À force de voir répéter dans le même journal que A… est un parfait gredin et B… un très honnête homme, nous arrivons à en être convaincus, pourvu, bien entendu, que nous ne lisions pas souvent un autre journal d’opinion contraire. (Le Bon : 73)

 -La puissance des mots est liée aux images qu’ils évoquent et tout à fait indépendante de leur signification réelle. Ceux dont le sens est le plus mal défini possèdent parfois le plus d’action. Tels par exemple, les termes : démocratie, socialisme, égalité, liberté, etc. dont le sens est si vague que de gros volumes ne suf sent pas à le préciser. (Le Bon : 60) La foule n’étant impressionnée que par des sentiments excessifs, l’orateur qui veut la séduire doit abuser des affirmations violentes. (Le Bon : 26)

-Le type du héros cher aux foules aura toujours la structure d’un César. Son panache les séduit, son autorité leur impose et son sabre leur fait peur. (Le Bon : 28)Le merveilleux et le légendaire sont, en réalité, les vrais supports d’une civilisation […] Aussi est-ce une bien inutile banalité de répéter qu’il faut une religion aux foules. Les croyances politiques, divines et sociales ne s’établissent chez elles qu’à la condition de revêtir toujours la forme religieuse, qui les met à l’abri de la discussion. (Le Bon : 35 ; 41)

Le mot soigneusement choisi ou une formule fréquemment répétée ont une grande puissance de suggestion :

La puissance des mots est si grande qu’il suffit de termes bien choisis pour faire accepter les choses les plus odieuses. (Le Bon : 62)La raison et les arguments ne sauraient lutter contre certains mots et certaines formules. (Le Bon : 60)

Parmi les procédés observés par Klemperer pour modeler les esprits et les comportements, nous retrouvons ceux répertoriés par Le Bon : simplification, élimination de la contradiction, répétition, stéréotypie, mise en scène, emphase et appel aux sentiments. Ainsi :

Le slogan assène directement, à main nue, un coup de poing sur la raison de celui qu’il interpelle et veut le subjuguer. (LTI : 317)
La répétition constante semble être un effet de style capital dans leur langue. (28 juillet 1933, LTI : 59-60)La LTI sert uniquement à l’invocation. (LTI : 49)
Le sentiment devait supplanter la pensée, et lui-même devait céder devant un état d’hébétement, d’aboulie et d’insensibilité ; où aurait-on pris sinon la masse nécessaire des bourreaux et des tortionnaires ? (LTI : 314)
Le fait qu’elle culmine dans sa dimension religieuse vient d’une part de certaines tournures spécifiquement imitées du Christ, et dans une proportion plus grande, de la déclamation de longues séquences de discours sur le ton du sermon et de l’enthousiasme. (LTI : 155)
La « très grande époque pour l’Allemagne » est un superlatif presque modeste comparé aux superlatifs visant à la divinisation de l’ère hitlérienne, qui étaient alors en vogue. (LTI : 165)

Dans son essai, Victor Klemperer analyse les courants qui ont pu mener au totalitarisme en Allemagne. Il distingue le courant du positivisme scienti que avec le classement des races et le courant romantique, particulièrement du romantisme allemand :Le nazisme se trouve déjà en germe dans le romantisme : le détrônement de la raison, la bestialisation de l’homme, la glorification de l’idée de puissance, du prédateur, de la bête blonde. (LTI : 190)À cela il faut ajouter le passage à la communication de masse, avec les nouvelles technologies de diffusion que sont la radio, la télévision, le cinéma et l’imprimé jointes à une rhétorique débarrassée de toute morale pour fabriquer le consentement :Le romantisme et le business à grand renfort publicitaire, Novalis et Barnum, l’Allemagne et l’Amérique : dans la Schau et la Weltanschauung de la LTI, les deux coexistent et sont aussi indissociablement mêlés que la mystique et le faste dans la messe catholique. (LTI : 195)9

– le langage totalitaire investit tous les canaux, tous les supports
– il investit les sphères tant publiques que privées ;
– ce langage a une « effroyable homogénéité » (LTI : 34) ;
– il est irréductiblement lié à la violence et à la mort. C’est un langage qui « sent le sang et la mort », dira Klemperer ;

– c’est un langage forcé, a-historique, entièrement idéologique ; – il désinvestit le sujet de sa propre pensée ;
– c’est un langage de type mystique.

Klemperer parle du « caractère rhétorique de la LTI » (LTI : 108). Ces genres de discours relèvent principalement d’une rhétorique émotionnelle, essentiellement préoccupée de séduire le destinataire, de le « ravir ». La propagande totalitaire nous semble pourtant avoir des caractéristiques qui lui sont propres : elle joue notamment sur le mythe et la violence, violence qui n’est pas seulement symbolique, mais qui vise à susciter la peur, à asservir ou à tuer. Plus fondamentalement, Klemperer montre comment ce langage contribue à inscrire le totalitarisme au sein même de la langue et de la pensée. La pensée totalitaire (ou son mythe) devient la pensée même, c’est-à-dire qu’il n’y a pas d’autre pensée possible.

Le livre du philologue allemand sous-entend une théorie linguistique implicite selon laquelle la valeur d’un signe est avant tout une valeur sociale. De ce point de vue, ce qu’il énonce ici pour le totalitarisme est valable pour tout contexte idéologique. La langue enferme les valeurs d’une société et, en ce sens, celles-ci nous sont imposées ; mais la langue a toujours de l’équivoque, du jeu, par définition. Toute idéologie est tension, le calque peut donc sans cesse se défaire. Une langue devient « totalitaire » quand le signe est privé de ce jeu et de sa possibilité de signifier dans une interaction ouverte à la contradiction. En cela l’idéologie totalitaire, comme nulle autre, est absence de parole propre – la parole vide y rejoint la censure ou le silence.

 

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La parole du chef

https://alexandrequet.wordpress.com/2010/11/23/la-societe-contre-letat-selon-pierre-clastres/

http://www.philosophie-spiritualite.com/textes_4/clastres5.htm

https://www.linkedin.com/pulse/la-parole-du-chef-réflexion-libre-sur-p-clastres-christophe-thiebault

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L’oral peut-il s’enseigner ?

http://www.homme-moderne.org/societe/socio/bourdieu/varia/cequep.html

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Ce que parler veut dire – Bourdieu

Déjà Ovide, exilé sur les bords de la mer Noire, déplorait qu’incapable de se faire comprendre, il se sentait comme un barbare, un étranger de genre humain, n’ayant pour seule langue qu’un bafouillage inarticulé, chant d’oiseau qu’on méprise pour sa mauvaise élocution. Les barbarismes renvoient à l’étymologie du mot barbare qui évoque d’abord celui qui ne parle grec mais tout au plus crie. La parole semble donc, à l’image de l’épisode de la Tour de Babel, être un facteur de division, bien plus qu’un moyen de rapprocher les hommes.

Mais ce phénomène ne concerne pas seulement des langues différentes mais est présent également au sein d’une même langue.

En effet,« Nous pensons un univers que notre langue a d’abord modelé » Benveniste  Or la langue n’est pas neutre. Par exemple, certaines langues d’Afrique ne distinguent pas l’arc en ciel le meme nombre de couleurs que le français. Le lexique l’ensemble des mots découpe arbitrairement le réel.

On distinguait jusqu’à la Révolution trois ordres : la noblesse le clergé et le tiers état  dans lequel se rassemblaient pile mêle les exclus de la vie politique, depuis le serf le plus misérable jusqu’au négociant le plus puissant. Les découpages langagiers arbitraires peuvent aussi être partisans.  

Les valorisations qu’effectuent les mots sont encore plus nettement sociales : les mêmes personnes seront nommés « résistants » ou « terroristes » selon le point de vue. Plus radicalement, nos valeurs n’étaient peut être  à l’origine que des noms de groupes sociaux : La « liberté » était à Athènes un statut social, opposé à l’esclavage; Nietzsche découvre que dans la plupart des langues européennes, les équivalents du mot « bon » signifiaient à l’origine « noble ». Nietzsche Généalogie de la morale I p6

langue reflet de vision du monde, rapports de forces socio économiques

Il est possible et nécessaire de changer les valorisations et le contenu de certains maitres mots qui doivent cesser d’être des mots de maitres. Les féministes par exemple, ont su créer un rapport de forces où le mot « femme » a pu être extirpé d’expressions traditionnelles phallocrates (« intuition féminine, instinct maternel, éternel feminin, coquetterie féminine) pour être parce dans expressions neuves qui lui donnent une valorisation positive : « condition des femmes, libération de la femme, féminisme. cette valorisation contextuelle nouvelle pèse à son tour dans le rapport des forces idéologique et social.

On pourrait donc voir à la limite dans le langage notre manière de part en part sociale de nous représenter le réel : l’homme est-il par nature capable de parole ou devient-il humain en apprenant, avec la parole, ce que la société juge désirable et indésirable ? 

 

A l’occasion de la publication de « Ce que parler veut dire« ,
in Libération, 19 octobre 1982, p. 28.

http://adonnart.free.fr/doc/parler.htm

« Le discours quel qu’il soit, est le produit de la rencontre entre un habitus linguistique, c’est-à-dire une compétence inséparablement technique et sociale (à la fois la capacité de parler et la capacité de parler d’une certaine manière, socialement marquée) et d’un marché, c’est-à-dire le système de « règles » de formation des prix qui vont contribuer à orienter par avance la production linguistique. Cela vaut pour le bavardage avec des amis, pour le discours soutenu des occasions officielles, ou pour l’écriture philosophique comme j’ai essayé de le montrer à propos de Heidegger. Or, tous ces rapports de communication sont aussi des rapports de pouvoir (1) et il y a toujours eu, sur le marché linguistique, des monopoles, qu’il s’agisse de langues secrètes en passant par les langues savantes. »…

(thèse sous-jacente) : servitude volontaire, inconsciente « complicité subie » »Le pouvoir symbolique est un pouvoir qui est en mesure de se faire reconnaître, d’obtenir la reconnaissance ; c’est-à-dire un pouvoir (économique, politique, culturel ou autre) qui a le pouvoir de se faire méconnaître dans sa vérité de pouvoir, de violence et d’arbitraire. »…

LIBÉRATION. – Vous considérez donc que le langage devrait être au centre de toute analyse politique ?
P.B. – Là encore, il faut se garder des alternatives ordinaires. Ou bien on parle du langage comme s’il n’avait d’autres fonction que de communiquer ; ou bien on se met à chercher dans les mots, le principe du pouvoir qui s’exerce, en certains cas, à travers eux (je pense par exemple aux ordres ou aux mots d’ordres). En fait les mots exercent un pouvoir typiquement magique : ils font croire, ils font agir. Mais, comme dans le cas de la magie, il faut se demander où réside le principe de cette action ; ou plus exactement quelles sont les conditions sociales qui rendent possible l’efficacité magique des mots. Le pouvoir des mots ne s’exerce que sur ceux qui ont été disposés à les entendre et à les écouter, bref à les croire. En béarnais, obéir se dit crede, qui veut dire aussi croire. C’est toute la prime éducation – au sens large – qui dépose en chacun les ressorts que les mots (une bulle du pape, un mot d’ordre du parti, un propos de psychanalyste, etc.) pourront, un jour ou l’autre, déclencher. Le principe du pouvoir des mots réside dans la complicité qui s’établit, au travers des mots, entre un corps social incarné dans un corps biologique, celui du porte-parole, et des corps biologiques socialement façonnés à reconnaître ses ordres, mais aussi ses exhortations, ses insinuations ou ses injonctions, et qui sont les « sujets parlés », les fidèles, les croyants. C’est tout ce qu’évoque, si on y songe, la notion d’esprit de corps : formule sociologiquement fascinante, et terrifiante.

Si le travail politique est, pour l’essentiel, un travail sur les mots, c’est que les mots contribuent à faire le monde social. Il suffit de penser aux innombrables circonlocutions, périphrases ou euphémismes qui ont été inventés, tout au long de la guerre d’Algérie, dans le souci d’éviter d’accorder la reconnaissance qui est impliquée dans le fait d’appeler les choses par leur nom au lieu de les dénier par l’euphémisme. En politique, rien n’est plus réaliste que les querelles de mots. (2) Mettre un mot pour un autre, c’est changer la vision du monde social, et par là, contribuer à le transformer. Parler de la classe ouvrière, faire parler la classe ouvrière (en parlant pour elle), la représenter, c’est faire exister autrement, pour lui même et pour les autres, le groupe que les euphémismes de l’inconscient ordinaire annulent symboliquement (les « humbles », les « gens simples », « l’homme de la rue », « le français moyen », ou chez certains sociologues « les catégories modestes ». …

Les groupes (et en particulier les classes sociales) sont toujours, pour une part, des artefacts : ils sont le produit de la logique de la représentation qui permet à un individu biologique, ou un petit nombre d’individus biologiques, secrétaire général ou comité central, pape ou évêques, etc., de parler au nom de tout le groupe, de faire parler et marcher le groupe « comme un seul homme », de faire croire – et d’abord au groupe qu’ils représentent – que le groupe existe. Groupe fait homme, le porte-parole incarne une personne fictive, cette sorte de corps mystique qu’est un groupe ; il arrache les membres du groupe à l’état de simple agrégat d’individus séparés, leur permettant d’agir et de parler d’une seule voix à travers lui. En contrepartie, il reçoit le droit d’agir et de parler au nom du groupe, de se prendre pour le groupe qu’il incarne (la France, le peuple…) de s’identifier à la fonction à laquelle il se donne corps et âme, donnant ainsi un corps biologique à un corps constitué. La logique de la politique est celle de la magie ou si l’on préfère, du fétichisme.

http://www.persee.fr/doc/arss_0335-5322_1975_num_1_4_3417

 

4è de couverture de l’édition Fayard

« Le discours n’est pas seulement un message destiné à être déchiffré; c’est aussi un produit que nous livrons à l’appréciation des autres et dont la valeur se définira dans sa relation avec d’autres produits plus rares ou plus communs. L’effet du marché linguistique, qui se rappelle à la conscience dans la timidité ou dans le trac des prises de parole publiques, ne cesse pas de s’exercer jusque dans les échanges les plus ordinaires de l’existence quotidienne: témoins les changements de langue que, dans les situations de bilinguisme, sans même y penser, les locuteurs opèrent en fonction des caractéristiques sociales de leur interlocuteur; ou, plus simplement, les corrections que doivent faire subir à leur accent, dès qu’ils sont placés en situation officielle, ceux qui sont ou se sentent les plus éloignés de la langue légitime.

Instrument de communication, la langue est aussi signe extérieur de richesse et un instrument du pouvoir. Et la science sociale doit essayer de rendre raison de ce qui est bien, si l’on y songe, un fait de magie: on peut agir avec des mots, ordres ou mots d’ordre. La force qui agit à travers les mots est-elle dans les paroles ou dans les porte-parole? On se trouve ainsi affronté à ce que les scolastiques appelaient le mystère du ministère, miracle de la transsubstantiation qui investit la parole du porte-parole d’une force qu’elle tient du groupe même sur lequel elle l’exerce.

Ayant ainsi renouvelé la manière de penser le langage, on peut aborder le terrain par excellence du pouvoir symbolique, celui de la politique, lieu de la prévision comme prédiction prétendant à produire sa propre réalisation. Et comprendre, dans leur économie spécifique, les luttes les plus éloignées, en apparence, de toute rationalité économique, comme celles du régionalisme ou du nationalisme. Mais on peut aussi, à titre de vérification, porter au jour l’intention refoulée de textes philosophiques dont la rigueur apparente n’est souvent que la trace visible de la censure particulièrement rigoureuse du marché auquel ils se destinent.

P. B. »

Cet ouvrage examine la fonction sociale du langage et ses possibilités de violences symboliques, anticipant d’éventuels châtiments physiques ou contraintes dégradantes à terme. Aux défenseurs d’une esthétique littéraire, supposée communicable et porteuse de valeurs universelles, cette vision du langage oppose un usage de la parole moins pour dire quelque chose sur le monde que pour servir le prestige réel ou supposé du ou des locuteurs dominants. En ressortent des effets de surenchère, de bourse des valeurs des mots où la notion de sens se perd et où tout discours finit par se résumer à un échange de signes plus ou moins valorisants : la fonction principale du discours est alors de signifier l’importance de celui qui le tient dans le cadre d’un système hiérarchique convenu et ainsi renforcé.

 

Intervention au Congrès de l’AFEF, Limoges, 30 octobre 1977, parue dans Le français aujourd’hui, 41, mars 1978, pp. 4-20 et Supplément au n° 41, pp. 51-57. Repris dans Questions de sociologie, Les éditions de Minuit, 1980, pp 95- 112.

Le discours que nous produisons, selon le modèle que je propose, est une « résultante » de la compétence du locuteur et du marché sur lequel passe son discours; le discours dépend pour une part (qu’il faudrait apprécier plus rigoureusement) des conditions de réception.
Toute situation linguistique fonctionne donc comme un marché sur lequel le locuteur place ses produits et le produit qu’il produit pour ce marché dépend de l’anticipation qu’il a des prix que vont recevoir ses produits. Sur le marché scolaire, que nous le voulions ou non, nous arrivons avec une anticipation des profits et des sanctions que nous recevrons. Un des grands mystères que la socio-linguistique doit résoudre, c’est cette espèce de sens de l’acceptabilité. Nous n’apprenons jamais le langage sans apprendre, en même temps, les conditions d’acceptabilité de ce langage. C’est-à-dire qu’apprendre un langage, c’est apprendre en même temps que ce langage sera payant dans telle ou telle situation.
Nous apprenons inséparablement à parler et à évaluer par anticipation le prix que recevra notre langage; sur le marché scolaire —et en cela le marché scolaire offre une situation idéale à l’analyse— ce prix c’est la note, la note qui implique très souvent un prix matériel (si vous n’avez pas une bonne note à votre résumé de concours de Polytechnique, vous serez administrateur à l’INSEE et vous gagnerez trois fois moins…). Donc, toute situation linguistique fonctionne comme un marché dans lequel quelque chose s’échange. Ces choses sont bien sûr des mots, mais ces mots ne sont pas seulement faits pour être compris; le rapport de communication n’est pas un simple rapport de communication, c’est aussi un rapport économique où se joue la valeur de celui qui parle : a-t-il bien ou mal parlé ? Est-il brillant ou non ? Peut-on l’épouser ou non ?…(…)

Pour revenir à ce qui était le point de départ de cette digression : Qui définit l’acceptabilité ?
Le professeur est libre d’abdiquer son rôle de « maître à parler » qui, en produisant un certain type de situation linguistique ou en laissant faire la logique même des choses (l’estrade, la chaise, le micro, la distance, l’habitus des élèves) ou en laissant faire les lois qui produisent un certain type de discours, produit un certain type de langage, non seulement chez lui-même, mais chez ses interlocuteurs. Mais dans quelle mesure le professeur peut-il manipuler les lois de l’acceptabilité sans entrer dans des contradictions extraordinaires, aussi longtemps que les lois générales de l’acceptabilité ne sont pas changées ? C’est pourquoi l’expérience de l’oral est tout à fait passionnante. On ne peut pas toucher à cette chose si centrale et en même temps si évidente sans poser les questions les plus révolutionnaires sur le système d’enseignement : est-ce qu’on peut changer la langue dans le système scolaire sans changer toutes les lois qui définissent la valeur des produits linguistiques des différentes classes sur le marché ; sans changer les rapports de domination dans l’ordre linguistique, c’est-à-dire sans changer les rapports de domination ?

J’en viens à une analogie que j’hésite à formuler bien qu’elle me semble nécessaire : l’analogie entre la crise de l’enseignement du français et la crise de la liturgie religieuse. La liturgie est un langage ritualisé qui est entièrement codé (qu’il s’agisse des gestes ou des mots) et dont la séquence est entièrement prévisible. La liturgie en latin est la forme limite d’un langage qui, n’étant pas compris, mais étant autorisé, fonctionne néanmoins, sous certaines conditions, comme langage, à la satisfaction des émetteurs et des récepteurs. En situation de crise, ce langage cesse de fonctionner : il ne produit plus son effet principal qui est de faire croire, de faire respecter, de faire admettre —de se faire admettre même si on ne le comprend pas.
La question que pose la crise de la liturgie, de ce langage qui ne fonctionne plus, qu’on n’entend plus, auquel on ne croit plus, c’est la question du rapport entre le langage et l’institution. Quand un langage est en crise et que la question de savoir quel langage parler se pose, c’est que l’institution est en crise et que se pose la question de l’autorité délégante —de l’autorité qui dit comment parler et qui donne autorité et autorisation pour parler.

Un des effets de la crise est de porter l’interrogation sur les conditions tacites, sur les présupposés du fonctionnement du système. On peut, lorsque la crise porte au jour un certain nombre de présupposés, poser la question systématique des présupposés et se demander ce que doit être une situation linguistique scolaire pour que les problèmes qui se posent en situation de crise ne se posent pas, La linguistique la plus avancée rejoint actuellement la sociologie sur ce point que l’objet premier de la recherche sur le langage est l’explicitation des présupposés de la communication. L’essentiel de ce qui se passe dans la communication n’est pas dans la communication : par exemple, l’essentiel de ce qui se passe dans une communication comme la communication pédagogique est dans les conditions sociales de possibilité de la communication. Dans le cas de la religion, pour que la liturgie romaine fonctionne, il faut que soit produit un certain type d’émetteurs et un certain type de récepteurs. Il faut que les récepteurs soient prédisposés à reconnaître l’autorité des émetteurs, que les émetteurs ne parlent pas à leur compte, mais parient toujours en délégués, en prêtres mandatés et ne s’autorisent jamais à définir eux-mêmes ce qui est à dire et ce qui n’est pas à dire.
Il en va de même dans l’enseignement : pour que le discours professoral ordinaire, énoncé et reçu comme allant de soi, fonctionne, il faut un rapport autorité-croyance, un rapport entre un émetteur autorisé et un récepteur prêt à recevoir ce qui est dit, à croire que ce qui est dit mérite d’être dit. Il faut qu’un récepteur prêt à recevoir soit produit, et ce n’est pas la situation pédagogique qui le produit.

Pour récapituler de façon abstraite et rapide, la communication en situation d’autorité pédagogique suppose des émetteurs légitimes, des récepteurs légitimes, une situation légitime, un langage légitime.
Il faut un émetteur légitime, c’est-à-dire quelqu’un qui reconnaît les lois implicites du système et qui est, à ce titre, reconnu et coopté. Il faut des destinataires reconnus par l’émetteur comme dignes de recevoir, ce qui suppose que l’émetteur ait pouvoir d’élimination, qu’il puisse exclure « ceux qui ne devraient pas être là »; mais ce n’est pas tout : il faut des élèves qui soient prêts à reconnaître le professeur comme professeur, et des parents qui donnent une espèce de crédit, de chèque en blanc, au professeur. Il faut aussi qu’idéalement les récepteurs soient relativement homogènes linguistiquement (c’est-à-dire socialement), homogènes en connaissance de la langue et en reconnaissance de la langue, et que la structure du groupe ne fonctionne pas comme un système de censure capable d’interdire le langage qui doit être utilisé.

Dans certains groupes scolaires à dominante populaire, les enfants des classes populaires peuvent imposer la norme linguistique de leur milieu et déconsidérer ceux que Labov appelle les paumés et qui ont un langage pour les profs, le langage qui « fait bien », c’est- à-dire efféminé et un peu lécheur. Il peut donc arriver que la norme linguistique scolaire se heurte dans certaines structures sociales à une contre-norme (inversement, dans des structures à dominante bourgeoise, la censure du groupe des pairs s’exerce dans le même sens que la censure professorale : le langage qui n’est pas « châtié » est autocensuré et ne peut être produit en situation scolaire).

La situation légitime est quelque chose qui fait intervenir à la fois la structure du groupe et l’espace institutionnel à l’intérieur duquel ce groupe fonctionne. Par exemple, il y a tout l’ensemble des signes institutionnels d’importance, et notamment le langage d’importance (le langage d’importance a une rhétorique particulière dont la fonction est de dire combien ce qui est dit est important). Ce langage d’importance se tient d’autant mieux qu’on est en situation plus éminente, sur une estrade, dans un lieu consacré, etc. Parmi les stratégies de manipulation d’un groupe, il y a la manipulation des structures d’espace et des signes institutionnels d’importance.
Un langage légitime est un langage aux formes phonologiques et syntaxiques légitimes, c’est-à-dire un langage répondant aux critères habituels de grammaticalité, et un langage qui dit constamment, en plus de ce qu’il dit, qu’il le dit bien. Et par là, laisse croire que ce qu’à dit est vrai : ce qui est une des façons fondamentale s de faire passer le faux à la place du vrai. Parmi les effets politiques du langage dominant il y a celui- ci : « Il le dit bien, donc cela a des chances d’être vrai ».

Rien n’illustre mieux la liberté extraordinaire que donne à l’émetteur une conjonction de facteurs favorisants, que le phénomène de l’hypocorrection. Inverse de l’hypercorrection, phénomène caractéristique du parler petit-bourgeois, l’hypocorrection n’est possible que parce que celui qui transgresse la règle (Giscard par exemple lorsqu’il n’accorde pas le participe passé avec le verbe avoir) manifeste par ailleurs, par d’autres aspects de son langage, la prononciation par exemple, et aussi par tout ce qu’il est, par tout ce qu’il fait, qu’il pourrait parler correctement.

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La parole : condition du politique ? Une seule langue est-elle souhaitable ?

Cf. Aristote les Politiques 

Pour Hobbes, l’homme est un être naturel capable d’artifice : le langage, une convention arbitraire pour enregistrer ses pensées, des noms, signes pour communiquer. Le langage est condition de la sociabilité. Sans lui « il n’y aurait eu pas plus de république, de société, de contrat et de paix que parmi les lions, les ours et les loups. » Léviathan IV cette capacité à réfléchir et à communiquer à partir de signes arbitraires ou de dénominations conventionnelles est ce que Hobbes appelle « raison ». L’homme qui raisonne ne se contente pas d’observer comme peuvent le faire les animaux, des ressemblances entre les phénomènes de la perception, mais il perçoit des rapports entre des signes. Ce calcul suppose une forme d’abstraction, puisque calculer ce n’est pas percevoir mais bel et bien raisonner c’est à dire combiner des signes et effectuer des opérations.

L’homme est à la fois un animal politique et un être parlant. De meme que la parole ne lui est pas donnée mais suppose un apprentissage, de meme l’homme n’est pas un animal politique par nature mais par discipline c’est à dire par artifice et par institution. La parole est à la fois ce qui permet aux hommes de s’accorder et de se contredire.  En ce sens, elle fait de la sociabilité et de la politique des problèmes plutôt que des évidences. (=> Cf. question de l’autorité chez Hobbes)

La loi devient la parole de celui qui doit commander aux autres.

Le contrat linguistique est un des aspects les plus fondamentaux du contrat social : une même nation, un patrimoine commun, une même langue. Mais ce n’est pas un système fermé. Toute tentative pour fixer une langue par voie d’autorité s’est vu soldée par un échec ainsi qu’en témoigne l’expérience de l’Académie française chargée par Richelieu qui fonde la monarchie absolue, de faire régner l’ordre dans le langage. Le dictionnaire, code du bon usage, ne peut le fixer. L’arbitraire royal est ici sans pouvoir. Une langue n’est pas une somme mais un horizon mouvant; la langue fournit le cadre de la parole mais n’existe que dans la parole qui l’assume et la promeut.

 

Le langage contribue-t-il à unir ou à diviser les hommes ?

 


Analyse des termes du sujet

Le langage est à la fois

  1. la faculté propre à l’être humain de créer et d’utiliser des systèmes de signes pour communiquer ;
  2. la langue comme système de signes au sens de Ferdinand de Saussure.

Une langue, selon la définition de Ferdinand de Saussure, est un système de signes conventionnel et doublement articulé qui sert de moyen de communication et d’échange. Une langue est propre à une culture, ou une nation, avec une grammaire, une syntaxe, un vocabulaire spécifiques.

Si communiquer permet d’établir des liens, la diversité des langues semble créer des barrières. Mais le problème de la division ne se ramène pas à celui de la diversité des langues ; de même, l’union ne serait pas garantie par l’existence d’une langue universelle.

Mais avant d’aller plus loin dans la réflexion, Il convient de remarquer que unir/diviser sont des termes vagues qui peuvent avoir différentes significations.  Ce sont des termes antagonistes (antonymes), ce qui laisse présupposer que le « ou » du sujet est un ou exclusif : l’un ou l’autre mais pas les deux.

Unir, au sens large du terme, veut dire lier. En général, l’union intervient entre des termes qui sont différents. Il ne faudra pas confondre union et uniformisation (rendre semblable) ou unification (rendre unique). Cependant, il se peut que l’uniformisation favorise l’union et l’unification peut être considéré comme un cas limite de l’union.

Le langage étant une faculté commune à tous les hommes et la langue étant définie comme un moyen de communication, on voit immédiatement en quoi le langage, aux deux sens dégagés plus haut, crée un lien entre les hommes. Cependant, il peut y avoir différents types de liens entre les hommes : des liens sociaux, économiques, culturels, personnels … Et ces liens peuvent être plus ou moins étroits : être unis, c’est être en harmonie, ou complémentaires ou solidaires ou complice ou indissociables … Il ne faut donc pas s’en tenir au lien le plus évident, en particulier à celui de la communication.

L’union est souvent associée à l’entente qui ne signifie ni simplement communication ni, de manière plus positive, concorde. S’entendre, c’est communiquer mais aussi partager, s’accorder, se comprendre. Ainsi on peut communiquer sans pour autant se comprendre et s’accorder.

Diviser, au sens large du terme, veut dire séparer. L’idée que le langage séparerait les hommes semble paradoxale. Comment un moyen de communication qui lie par définition, peut-il séparer ? De même qu’il y a plusieurs façon d’être unis, il y a plusieurs façon d’être séparés. La séparation peut prendre la forme de l’absence de communication, de l’absence de collaboration, de l’absence de compréhension, de l’absence de reconnaissance. La division peut se manifester par l’indifférence, l’exploitation, le mépris ou la guerre.

Le langage peut contribuer à, c’est-à-dire être un facteur d’union ou de division parce qu’il en est soit une condition nécessaire, soit une condition suffisante, soit une condition à la fois nécessaire et suffisante ou encore parce qu’il est simplement un élément favorisant sans être ni nécessaire ni suffisant.

Problématique

Partons de ce simple constat : les hommes sont unis puisqu’ils vivent en société ; ils sont divisés puisqu’ils sont en perpétuel conflit.

Si le langage est spécifiquement humain, quel rôle joue-t-il dans ce double processus ?

Les hommes communiquent grâce au langage. Ils sont donc, en un certain sens, unis par le langage, comme le montre le simple schéma d’une situation de communication :

Mais le simple fait que des divisions existent semblent indiquer que la communication linguistique n’est pas une condition suffisante de l’union à tous les sens du terme. En est-il au moins une condition nécessaire ?


Eléments pour le développement

1 – Le langage en tant qu’il favorise la communication est nécessaire à la constitution de liens sociaux.

Pas de société sans moyen de communication (langage au sens large).

Vivre ensemble suppose un minimum de coordination et d’échange, donc un minimum de communication entre les membres de la communauté. Ex. : les codes de signaux des insectes sociaux.

Or, le langage humain, en associant dans les signes une chose matérielle quelconque (sonorité, dessin, geste…) et un concept de façon conventionnelle et arbitraire, constitue un puissant moyen de communication : il est polyvalent (on peut virtuellement échanger sur tout), économique (grâce à la double articulation) et évolutif (il peut toujours s’adapter et s’enrichir). Il permet donc au plus haut point la coordination de l’action et l’échange d’information.

En tant que moyen de communication, le langage humain permet l’intersubjectivité. Descartes voit même dans le langage la seule façon de sortir de l’isolement de la conscience de soi : je sais que je ne suis pas le seul être pensant au monde parce que les autres hommes, contrairement aux animaux, parlent comme moi pour exprimer leurs pensées. Le langage permet la communication des consciences.

Pas de société proprement humaine sans langage au sens étroit du terme (système de signes conventionnel et doublement articulé).

Plus particulièrement, pas d’état de droit sans langage.

Le caractère abstrait et conventionnel du langage humain permet la relation contractuelle. De la simple promesse au Code civil en passant par le contrat juridique, le langage lie les contractants par la parole engagée ou le texte signé qui remplacent les mécanismes innés et les simples rapports de force naturels. Le langage, par l’intermédiaire du droit, règle les relations humaines sur la base d’un consensus (accord volontaire).

Ainsi, ce que le langage permet d’élaborer, c’est un monde commun qui n’est pas seulement un monde de choses, mais un ensemble de valeurs. Le langage unit non seulement parce qu’il favorise la communication, mais aussi parce qu’il favorise la « communion », c’est-à-dire l’instauration des règles communes morales, juridiques ou esthétiques. Les notions de Bien/Mal, Juste/Injuste, Beau/Laid comme d’ailleurs celles de Vrai/Faux n’existent que dans et par le langage. Elles supposent le jugement.

Le langage en ce sens n’est pas seulement un outil qui permet de communiquer les valeurs communes, il contribue à les céer. La linguistique a bien montré que la langue modèle et construit notre rapport au monde : on pense comme on parle. Une communauté linguistique est une communauté culturelle. On résume cette idée sous le nom de deux linguistes « hypothèse de Sapir et Whorf ».

Voir Annexe 1 ci-dessous.

Pas de transmission culturelle sans langage

Non seulement le langage, en tant que porteur d’une vision du monde, unit culturellement les membres d’une même communauté linguistique, grâce au langage, cette vision commune est transmise de génération en génération. L’union des individus dépasse donc le cercle de la communauté réelle des vivants : en transmettant l’héritage culturel, le langage permet de lier les générations présentes aux générations passées et aux générations futures.

Porteur de l’identité culturelle, le langage n’est-il pas en même temps porteur de la diversité culturelle, justement pour la même raison : son caractère conventionnel ?


2 – Le langage n’est pas une condition suffisante de l’union : en unissant, il divise en tant qu’il renforce la diversité et crée la discrimination

La diversité des langues et des cultures divise les êtres humains

On communique et on s’identifie – du moins, on le peut -, grâce au langage. Mais se comprend-on ?
Evidence contraire à celle de la première partie : on communique souvent sans pouvoir pénétrer les subtilités de telle ou telle culture et la langue de la communication, des échanges ou des contrats ne nous rapproche pas toujours suffisamment de nos interlocuteurs.

C’est qu’autre chose se joue dans la langue qu’une simple fonction générique – ce que nous avons nommé plus haut fonction linguistique : il s’y joue aussi le rapport avec une culture, une vision du monde, des valeurs.
Il faut donc prendre au sérieux l’obstacle et sous les conflits de mots, il faut savoir saisir les conflits de choses ou d’intérêts.

A l’intérieur d’une même communauté, la langue peut être un instrument de malentendus ou de discrimination 

Le langage peut être source de malentendus, volontaires (le mensonge) ou involontaires. (Il faut analyser pourquoi. Cela tient à la nature même du langage).

Le langage peut être un instrument de violence symbolique : insultes, manipulations, mensonges.  Ex. : les discours racistes

Cependant, la prise de conscience de l’obstacle et de sa nature est peut-être moins une menace qu’un espoir.


3 – Le langage unifie en tant qu’il permet la recherche de la vérité dans le dialogue

Le langage permet de connaître des cultures différentes et de les accepter

Savoir s’unir, c’est peut-être d’abord savoir entendre et accepter ce qui nous sépare. La langue est à ce titre un vecteur essentiel. Comme on l’a vu, c’est en elle et par elle que sont véhiculées les visions du monde propres à chaque peuple. Mais une langue peut toujours s’apprendre. La faculté du langage chez l’homme n’est pas restreinte à l’utilisation d’un code de signaux prédéterminé. Ce qui permet la diversité culturelle permet aussi la compréhension transculturelle. Cette diversité des langues et des cultures, dont on a vu qu’elle était facteur de dissension, est aussi une richesse. Dès lors, vouloir la supprimer, ce serait vouloir supprimer des différences (et l’effort pour comprendre des différences) sans lesquelles il n’y aurait pas d’échange de culture et, finalement de véritable union entre les peuples !

L’ethnocentrisme qui consiste à rejeter dans la nature (sous le nom de « barbarie ») les formes culturelles les plus éloignées de celles qui nous sont familières divise et détruit (ex. : le colonialisme). Mais le vrai barbare n’est-il pas celui qui, par étroitesse d’esprit, refuse de reconnaître la différence ? Ainsi, dit Lévi-Strauss : « Le barbare est celui qui croit en la barbarie ». (Etymologiquement, le mot « barbare » renvoie au chant inarticulé des oiseaux.

Peut-on « entendre » ceux qui ont été réduits au silence ? La véritable entente ne passe-t-elle pas par l’acceptation d’entendre les différences ? Et, de ce point de vue, le langage, s’il n’est pas suffisant à garantir l’union (au sens de la compréhension) entre les hommes, en est la condition nécessaire

L’effort pour se mettre d’accord sur des valeurs fondamentales communes au-delà de la diversité culturelle témoigne de cette conciliation grâce au dialogue entre les peuples. : Déclaration universelle des droits de l’Homme de l’ONU. Il s’agit bien d’un texte rédigé dans le dialogue.

Le langage permet aux individus, et pas seulement aux groupes, de confronter des points de vue différents, de les tolérer et, dans le meilleur des cas, d’atteindre une vérité partagée.

Voir le texte de Merleau-Ponty sur le dialogue.

Qu’est-ce qu’un dialogue ? Le véritable dialogue est plus qu’un simple échange de parole. D’où la nécessité, nous dit Platon, de respecter certaines règles (ne pas se contredire, être de bonne foi, écouter, accepter l’objection, être prêt à reconnaître ses erreurs…)

Le dialogue s’oppose à la fois au discours et à la simple conversation. C’est une communication linguistique orale qui suppose l’échange de vues

Dans le dialogue, les interlocuteurs prennent tour à tour la parole. Les rôles émetteur/récepteur sont interchangeables entre les interlocuteurs. Le canal est réversible. Mais le véritable dialogue est plus qu’un simple échange de paroles : l’échange dialogué suppose un partage d’idées et non la pure affirmation dogmatique d’une opinion. D’où la nécessité, nous dit Platon, de respecter certaines règles (ne pas se contredire, être de bonne foi, écouter, accepter l’objection, être prêt à reconnaître ses erreurs…). La parole échangée suppose la recherche d’une vérité partagée et non la pure affirmation dogmatique d’une opinion. Dans l’échange, on est prêt éventuellement à changer de point de vue.

Le Dialogue, dit Merleau-Ponty, nous fait sortir de notre subjectivité en créant un « tissu commun ».

Que faut-il entendre par « tissu commun »? Il s’agit d’une même vérité. De plus, Merleau-Ponty nous dit que ce tissu se fait à deux : comme dans un tissage, il faut deux fils, la trame et la chaîne; l’un des interlocuteurs fournit la trame, l’autre la chaîne et la signification commune (le tissu commun) est la résultante des deux. Le dialogue crée ainsi un « terrain commun ».  Il s’agit du monde en tant qu’il est non seulement mon monde, mais aussi le vôtre. Le langage, et plus particulièrement son exercice dans le dialogue, est une condition de possibilité de l’objectivitéCela ne veut pas dire que moi et mon interlocuteur avons les mêmes pensées, les mêmes points de vue. Bien au contraire : il faut deux fils distincts pour faire un tissu, la chaîne et la trame qui s’entrecroisent mais ne se confondent jamais. Nous pensons différemment, mais nous pensons ensemble. « Penserions-nous beaucoup et penserions-nous bien si nous ne pensions pas pour ainsi dire en commun avec les autres? » (Kant)

Ainsi, Le dialogue libère de l’opinion. C’est la liberté de pensée, la pensée libérée de la subjectivité, autrement dit, c’est l’objectivité que le langage rend possible. Le lien par excellence entre les hommes n’est-il pas cette possibilité d’une science partagée ?

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La liberté d’expression

http://barthes.ens.fr/scpo/Presentations99-00/Bjorstad/

Aussi loin que l’on puisse remonter dans l’Histoire, on observe que l’expression des idées, principalement sous sa forme verbale, mais aussi par l’écrit, a suscité l’intérêt des penseurs.

À l’origine, elle était avant tout considérée comme un élément essentiel du processus de structuration sociale permettant d’atteindre les idéaux suprêmes de vérité, de perfection et de justice.

Ainsi dès les vie et ve siècles avant l’ère chrétienne, en Chine, si certaines des maximes attribuées à Lao Tseu semblaient surtout inciter le sage à mener une vie purement intérieure sans exprimer ses idées, Confucius recommandait l’attitude inverse aux êtres supérieurement évolués, affirmant qu’il leur incombait de faire œuvre de pédagogue en enseignant les lois du ciel au peuple., car « l’homme parfait ne se borne pas à se perfectionner lui-même et s’arrêter ensuite; c’est pour cette raison qu’il s’attache aussi à perfectionner les autres êtres ».

Dans sa réflexion sur la détermination des valeurs sociales, l’antiquité gréco-romaine, considérant l’expression orale comme une forme naturelle de communication sonore propre à la société humaine, accordera elle aussi une place essentielle à son usage, dont le procédé du dialogue platonicien offre une illustration patente. Ainsi, pour Aristote : «La nature, qui ne fait rien en vain, n’a départi qu’à l’homme seul le don de la parole qu’il ne faut pas confondre avec les sons de la voix. Ceux-ci ne sont que l’expression des sensations agréables ou désagréables dont les autres animaux sont susceptibles comme nous. La nature leur a donné un organe borné à ce seul effet, mais nous avons de plus qu’eux, sinon la connaissance développée, au moins tous le sentiment obscur du bien et du mal, de l’utile et du nuisible, du juste et de l’injuste; objets pour la manifestation desquels nous a été principalement accordé l’organe de la parole. C’est ce commerce de la parole qui est le lien de toute société domestique et civile». Cicéron, persuadé que le premier principe naturel de la société résidait dans «le commerce de la raison et de la parole», considérait lui aussi que «c’est en s’instruisant les uns les autres, en se communiquant leurs pensées, en discutant, en portant des jugements, que les hommes se rapprochent et forment une certaine société naturelle. Rien ne nous distingue davantage des bêtes : dans quelques-unes nous reconnaissons la force, comme dans les chevaux et les lions mais jamais nous ne leur attribuons l’équité, la justice, la bonté, parce qu’elles n’ont ni la raison, ni la parole».».

Déjà à cette époque, l’expression des idées était considérée différemment en fonction de la valeur prêtée à leur contenu, puisqu’on estimait que celles imposées à l’aide d’arguments fallacieux alors qu’elles étaient mauvaises ou injustes pouvaient s’avérer nuisibles pour la société. Ainsi, Platon, recensant les défauts des systèmes politiques de l’époque, dénonçait les courtisans qui par leurs conseils intéressés induisaient en erreur les gouvernants. Aristote analysait les multiples facteurs susceptibles d’affecter la vérité des discours et affirmait que «celui qui fait un mauvais usage de cette puissance de la parole peut faire beaucoup de mal». Cicéron lui aussi, bien qu’ayant initialement assuré que l’éloquence ferait triompher le bon et le juste, n’en reconnaissait pas moins par la suite qu’il était possible qu’un homme utilise la parole sans se soucier de la morale et du devoir, ce qui le rendait «inutile à lui-même, et nuisible à sa patrie».

Si on estimait que le risque d’un mauvais usage de la parole ne justifiait pas qu’on l’interdise, puisque selon Aristote, une telle objection pouvait «être également dirigée contre toutes les bonnes choses, et surtout contre ce qu’il y a de plus utile, comme la force, la santé, les richesses, l’art militaire», on n’en admettait pas moins qu’un traitement différent soit réservé à l’expression selon son contenu et selon son auteur.

Le Procès de Socrate, poursuivi et condamné pour avoir tout à la fois corrompu la jeunesse, méprisé les dieux de la Cité et tenté de leur en substituer de nouveaux, illustrait bien les risques encourus à exprimer des conceptions heurtant les titulaires du pouvoir.

Platon en avait conclu que les dirigeants des cités grecques n’avaient pas la sagesse nécessaire à l’exercice de leurs fonctions, et qu’à l’époque il fallait absolument «quand on veut combattre pour la justice et si l’on veut vivre quelque temps, se confiner dans la vie privée et ne pas aborder la vie publique». Aussi, dans La République, prônait-il un schéma de Cité idéale dans laquelle la magistrature suprême devait être confiée à une aristocratie de philosophes spécialement recrutés et formés, détenteurs de la connaissance puisqu’ils «contemplent les choses dans leur essence». Un tel mode d’organisation impliquait lui aussi une inégalité de traitement entre gouvernants et gouvernés dans l’usage des facultés d’expression. En effet, à la différence des philosophes, la masse du peuple, faute d’appréhender les «essences», était réputée incapable de sagesse. Platon estimait qu’elle ne pouvait juger que «sur l’apparence», et ne lui prêtait donc pas de véritables «connaissances», mais des «opinions», c’est-à-dire «quelque chose d’intermédiaire entre la science et l’ignorance». Aussi, les critiques et suggestions qu’elle ne manquerait pas de formuler ne pouvaient qu’être illégitimes et dangereuses, et pour préserver le bon fonctionnement des institutions les magistrats devaient les ignorer, alors qu’eux-mêmes étaient autorisés, «pour tromper l’ennemi ou les citoyens dans l’intérêt de l’État», à utiliser le mensonge, en revanche interdit aux citoyens.

Durant quelques siècles, on continuera à apprécier la transmission des idées par référence à la nécessité de protéger des valeurs sociales, essentiellement religieuses, considérées comme suprêmes. Ainsi, pour Saint Augustin, les discussions autour de la foi en Dieu étaient toujours vaines et oiseuses puisque l’homme aspirant à vivre selon lui-même vit en réalité selon le mensonge alors que seul Dieu est la Vérité.

C’est à partir de la Renaissance que dans un contexte d’exacerbation des tensions interconfessionnelles, le courant humaniste, amplifié par le développement de l’imprimerie, s’efforcera de présenter l’expression des convictions comme un moyen d’accomplissement personnel et d’émancipation de l’individu en plaidant notamment pour la tolérance dans l’approche de la différence des croyances religieuses. Ainsi, au moment même où commencent les guerres de religion, Sébastien Castellion, théologien protestant originaire du Bugey, constatant que les deux camps témoignaient de la même violence fanatique, les adjurait de ne pas utiliser la force contre ceux qu’ils jugeaient hérétiques, et de leur résister «par parole s’ils n’usent que de parole», en citant en exemple les Turcs, qui considéraient leurs sujets indépendamment de leur religion

En 1651, dans un Chapitre XI (De la différence des manières) de son Léviathan , Hobbes, analysant les conditions devant permettre aux hommes de «vivre en paix et en harmonie»constatait avec réalisme que leur manque de jugement les porte à s’en remettre à des ambitieux sachant se donner une apparence de sagesse en maniant éloquence et flatterie, appuyées par la «réputation militaire». Aussi évoquait-t-il avec beaucoup de pragmatisme la diffusion des idées, en insistant sur la prudence et la discrétion avec lesquelles elles devaient être exprimées, et surtout sur le relativisme des jugements qu’elles pouvaient susciter. Dans la version initiale (en anglais) de l’ouvrage, il constatait que «…l’on donne différents noms à une seule et même chose selon la différence des passions individuelles. Ainsi, ceux qui approuvent une opinion particulière l’appellent Opinion, mais ceux qui ne l’approuvent pas l’appellent Hérésie; et pourtant le mot hérésie ne signifie rien de plus qu’opinion particulière, avec seulement une nuance de colère plus marquée».

Le mouvement dit des «Lumières» contribuera à l’essor et à la diffusion de ces conceptions valorisant la place de l’individu dans le système social, pour aboutir à la consécration de la liberté d’expression comme norme juridique.« Sans la liberté de blâmer il n’est pas d’éloge flatteur ». La célèbre réplique de Figaro, personnage principal du Mariage de Figaro de Beaumarchais, fait de cet auteur une figure phare de la liberté d’expression

En 1784, Kant observait que «les Lumières sont pour les gens l’issue à leur propre irresponsabilité…», car selon lui, l’apport essentiel de la période était la possibilité offerte aux sujets d’exprimer leur opinion, même en critiquant les lois. Il considérait en effet que la liberté était un droit inné (naturel) de l’individu, et comprenait notamment la liberté de pensée et son corollaire la liberté d’expression.

Dans la pensée kantienne, la liberté n’est cependant pas sans limites. Celles-ci sont d’abord d’ordre moral. Ainsi, si dans leurs relations entre eux, les individus peuvent s’exprimer librement, l’usage de propos tels que mensonge, médisance, raillerie, est contraire à la «vertu» parce que manquant de respect à autrui.

Les restrictions sont aussi d’ordre juridique, car si le droit naturel pose pour principe la liberté individuelle, il l’assortit des bornes logiquement nécessaires à sa conservation, la liberté n’existant qu’«en tant qu’elle peut s’accorder, suivant une loi générale, avec la liberté de chacun». Ainsi, les règles de droit régissant la communication entre individus peuvent s’accommoder de la pratique moralement condamnable du mensonge, mais seulement tant qu’elle ne porte pas «directement atteinte au droit d’autrui», par exemple à ses biens. De même, le droit dont disposent naturellement les gouvernés de critiquer les gouvernants ne va pas jusqu’à les dispenser de leur obéir, même lorsqu’ils deviennent oppressifs, car pour Kant, admettre le contraire serait remettre en cause le fondement même du système juridique.

En 1859, John Stuart Mill s’inspirera des mêmes principes dans son essai «De la liberté», devenu un des ouvrages de référence du libéralisme, mais entretemps, le droit d’exprimer ses convictions aura été formellement consacré comme liberté individuelle par des textes solennels à valeur de norme juridique.

Les pensées pouvant porter sur des questions hétérogènes, aussi bien triviales que métaphysiques, dès les premiers textes normatifs évoquant la liberté de les extérioriser, les convictions religieuses ont été distinguées des autres.

En Amérique, en 1669 déjà, quelques articles des « Constitutions fondamentales de Caroline » de 1669, ébauche d’organisation gouvernementale préparée par les grands propriétaires fonciers de la colonie avec le concours de John Locke, garantissaient la liberté religieuse et encadraient l’expression des opinions, mais le texte était demeuré au stade de projet. Vingt ans plus tard, en Angleterre, les monarques Guillaume III et Marie II avaient dû concéder au Parlement le Bill des droits de 1689 reconnaissant, entre autres le droit de pétition et la liberté d’expression des parlementaires.

Amorcé un siècle plus tôt, le mouvement s’accéléra le 12 juin 1776, lorsque la colonie américaine de Virginie se dota d’une «Déclaration des droits»garantissant entre autres les libertés de la presse et de religion.

Si ces principes n’ont été mentionnés ni dans la Déclaration d’indépendance adoptée trois semaines plus tard à Philadelphie par les délégués des treize colonies anglaises en rupture avec leur métropole, ni dans le texte initial de la Constitution dont elles se dotèrent en 1787, ils ont été expressément repris en septembre 1789 dans un document qui après ratification deux ans plus tard par leurs législatures, constitue la Déclaration des droits des États-Unis. Ce texte comprend dix amendements, dont le premier dispose: «Le Congrès ne fera jamais de loi concernant la fondation d’une religion ou interdisant le libre exercice de celle-ci, ou limitant la liberté de parole ou de la presse, ou le droit du peuple de se rassembler pacifiquement pour demander au Gouvernement la réparation des torts».

Entretemps, le 26 août 1789, en France, l’Assemblée nationale devenue Constituante, avait adopté la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, dont les articles 10 et 11 proclament respectivement «Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la loi» et «La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’homme; tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l’abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi»

Les conditions dans lesquelles s’applique la liberté d’expression sont ambivalentes.

  • D’une part elle est considérée comme fondamentale, car conditionnant l’exercice d’autres libertés. Ainsi, les juridictions supérieures, aussi bien supranationales que nationales, consacrent son importance en des termes analogues. Pour la Cour européenne des droits de l’homme, elle «constitue l’un des fondements essentiels d’une société démocratique, l’une des conditions primordiales de son progrès et de l’épanouissement de chacun». En France, selon le Conseil Constitutionnel, elle est «d’autant plus précieuse que son existence est une des garanties essentielles du respect des autres droits et libertés». Le Conseil d’État, dans une formule synthétisant les deux précédentes, considère que «l’exercice de la liberté d’expression est une condition de la démocratie et l’une des garanties du respect des autres droits et libertés».
  • D’autre part, les règles qui en posent solennellement le principe en lui conférant un large champ d’application l’assortissent aussi de nombreuses possibilités de limitations, elles aussi virtuellement très étendues, et largement utilisées.

.https://fr.wikipedia.org/wiki/Liberté_d’expression

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La politesse : ce qu’il faut dire ou ne pas dire (sans interdiction légale ou tabou)

Argot

Parler c’est utiliser une langue (le français, par ex.), et une langue, comme le note Emile Benveniste, reflète une culture donnée avec notamment ses normes et ses interdits. On dira donc que la langue impose un code à ses utilisateurs. “Langue et société ne se conçoivent pas l’une sans l’autre. (…) J’appelle culture le milieu humain, tout ce qui, par-delà l’accomplissement des fonctions biologiques, donne à la vie et à l’activité humaine forme, sens et contenu. La culture est inhérente à la société des hommes, quel que soit le niveau de civilisation. Elle consiste en une foule de notions et de prescriptions, aussi en des interdits spéci­fiques (…)” (Benveniste). De fait, comme la culture, la langue contient des interdits et toute la grammaire est là pour indiquer ce qu’il est possible et ce qu’il n’est pas possible de dire…

Remarquons à l’inverse que si la langue est l’outil par lequel se formule, voire se fabrique les interdits, il n’y aurait pas d’exercice possible du langage sans que n’existe une Loi sous-jacente aux lois, une règle de culture plus fondamentale que les règles juridiques, une loi constituante pour le psychisme de tout homme car elle lui permet normalement accéder au désir via la demande, il s’agit bien sûr de l’interdit de l’inceste… Si cet interdit n’était pas observé, quel besoin auraient les hommes de parler ? Ou plutôt quel désir ? Ne seraient-ils pas dans la réalisation absolument mortelle de leur désir le plus secret, le plus originel, si l’on en croit Freud, à savoir le désir incestueux ?

Un article très intéressant sur les variations culturelles de la politesse :

 

http://www.scienceshumaines.com/les-cultures-de-la-conversation_fr_12008.html

 

 

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Le tabou : ce qu’il ne faut pas dire

« Tabou » est un mot que l’on retrouve dans toutes les langues polynésiennes sous la forme tapu1, kapu2… Il fut popularisé en Europe par James Cook au retour de sa première circumnavigation durant laquelle il séjourna à Tahiti. Il désigne, dans la littérature ethnologique, une prohibition à caractère sacré dont la transgression est susceptible d’entraîner un châtiment surnaturel3. En tahitien entre autres, le contraire de tabou se dit noa : ce qui est ordinaire, accessible à tous.

Par extension, le terme « tabou » désigne, dans son acception la plus générale, un sujet qu’il est préférable de ne pas évoquer si l’on veut respecter les codes de la bienséance d’une société donnée.

Les ethnologues ont fait de ce mot polynésien un terme générique s’appliquant à toutes les interdictions d’ordre magique, religieux ou rituel, quel que soit le peuple qui formule ces interdictions.

Émile Durkheim estime qu’il est fâcheux d’étendre ainsi l’acception d’une expression étroitement locale et dialectale. Il n’y a pas de religion où les interdictions ne jouent pas un rôle considérable. Les termes « interdit » ou « interdiction » seraient préférables. En outre, « tabou » désigne aussi bien l’interdiction que la chose interdite.

  • Le tabou est un phénomène religieux qui peut être vu comme la forme négative du sacré. Il exprime à la fois son caractère contagieux et dangereux. Il comprend trois éléments : une croyance dans le caractère impur ou sacré de telle personne ou de telle chose; une prohibition : l’interdiction de toucher ou d’user de cette personne ou de cette chose; la croyance que la transgression de cet interdit entraîne automatiquement la punition du coupable, qui verra, par exemple, son corps enfler ou dépérir; il aura un accident, perdra ses récoltes ou bien ses parents mourront. La transgression du tabou est punie de mort ou au moins d’ostracisme.
  • Le tabou, toujours en tant que phénomène religieux, peut aussi être vu comme un avertissement : une chose, une personne est chargée de puissance. La violation du tabou n’entraîne pas forcément un châtiment mais une réaction de la puissance. Celle-ci fascine l’être humain mais engendre aussi de la crainte. À tel point que le tabou fait éviter la parole, par peur de la puissance. « Quand elle persiste, la crainte se fixe en une observance […] nous saisissons dès lors comment, à la longue, le frisson devait nécessairement passer à l’état d’observance, et la crainte vivante dégénérer en formalisme. »4.

Le premier tabou de l’humanité est le tabou de l’endogamie : interdiction d’avoir des relations sexuelles avec sa parentèle. Il évoluera ensuite en tabou de l’inceste avec la complexification des sociétés humaines consécutives à son application.

  • La maladie (en particulier le sida ou le cancer) et la mort ;
  • Les odeurs corporelles, les excréments, le manque d’hygiène dans les lieux publics ;
  • La sexualité et le désir, notamment dans leurs formes jugées déviantes, tels l’inceste dans les sociétés traditionnelles, la pédophilie, le viol dans les sociétés modernes;
  • L’argent et la mendicité ;
  • Le lesbianisme, dans certains milieux et à certaines époques ;
  • L’affaire Dreyfus, à la fin du XIXe siècle ;
  • La Commune de Paris, à la fin du XIXe siècle et début du XXe siècle ;
  • Le nazisme et les faits s’y rapportant, par exemple la collaboration durant l’Occupation allemande ;
  • La critique de la religion.
  • Certaines maladies psychiatriques (trouble de la personnalité paranoïaque et états délirants, notamment).

 

http://www.patrickbanon.com/fondsdocumentaire/livres/TabousetInterdits-introduction.pdf

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