Cf. Aristote les Politiques
Pour Hobbes, l’homme est un être naturel capable d’artifice : le langage, une convention arbitraire pour enregistrer ses pensées, des noms, signes pour communiquer. Le langage est condition de la sociabilité. Sans lui « il n’y aurait eu pas plus de république, de société, de contrat et de paix que parmi les lions, les ours et les loups. » Léviathan IV cette capacité à réfléchir et à communiquer à partir de signes arbitraires ou de dénominations conventionnelles est ce que Hobbes appelle « raison ». L’homme qui raisonne ne se contente pas d’observer comme peuvent le faire les animaux, des ressemblances entre les phénomènes de la perception, mais il perçoit des rapports entre des signes. Ce calcul suppose une forme d’abstraction, puisque calculer ce n’est pas percevoir mais bel et bien raisonner c’est à dire combiner des signes et effectuer des opérations.
L’homme est à la fois un animal politique et un être parlant. De meme que la parole ne lui est pas donnée mais suppose un apprentissage, de meme l’homme n’est pas un animal politique par nature mais par discipline c’est à dire par artifice et par institution. La parole est à la fois ce qui permet aux hommes de s’accorder et de se contredire. En ce sens, elle fait de la sociabilité et de la politique des problèmes plutôt que des évidences. (=> Cf. question de l’autorité chez Hobbes)
La loi devient la parole de celui qui doit commander aux autres.
Le contrat linguistique est un des aspects les plus fondamentaux du contrat social : une même nation, un patrimoine commun, une même langue. Mais ce n’est pas un système fermé. Toute tentative pour fixer une langue par voie d’autorité s’est vu soldée par un échec ainsi qu’en témoigne l’expérience de l’Académie française chargée par Richelieu qui fonde la monarchie absolue, de faire régner l’ordre dans le langage. Le dictionnaire, code du bon usage, ne peut le fixer. L’arbitraire royal est ici sans pouvoir. Une langue n’est pas une somme mais un horizon mouvant; la langue fournit le cadre de la parole mais n’existe que dans la parole qui l’assume et la promeut.
Le langage contribue-t-il à unir ou à diviser les hommes ?
Analyse des termes du sujet
Le langage est à la fois
Une langue, selon la définition de Ferdinand de Saussure, est un système de signes conventionnel et doublement articulé qui sert de moyen de communication et d’échange. Une langue est propre à une culture, ou une nation, avec une grammaire, une syntaxe, un vocabulaire spécifiques. Si communiquer permet d’établir des liens, la diversité des langues semble créer des barrières. Mais le problème de la division ne se ramène pas à celui de la diversité des langues ; de même, l’union ne serait pas garantie par l’existence d’une langue universelle. |
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Mais avant d’aller plus loin dans la réflexion, Il convient de remarquer que unir/diviser sont des termes vagues qui peuvent avoir différentes significations. Ce sont des termes antagonistes (antonymes), ce qui laisse présupposer que le « ou » du sujet est un ou exclusif : l’un ou l’autre mais pas les deux.
Unir, au sens large du terme, veut dire lier. En général, l’union intervient entre des termes qui sont différents. Il ne faudra pas confondre union et uniformisation (rendre semblable) ou unification (rendre unique). Cependant, il se peut que l’uniformisation favorise l’union et l’unification peut être considéré comme un cas limite de l’union. Le langage étant une faculté commune à tous les hommes et la langue étant définie comme un moyen de communication, on voit immédiatement en quoi le langage, aux deux sens dégagés plus haut, crée un lien entre les hommes. Cependant, il peut y avoir différents types de liens entre les hommes : des liens sociaux, économiques, culturels, personnels … Et ces liens peuvent être plus ou moins étroits : être unis, c’est être en harmonie, ou complémentaires ou solidaires ou complice ou indissociables … Il ne faut donc pas s’en tenir au lien le plus évident, en particulier à celui de la communication. L’union est souvent associée à l’entente qui ne signifie ni simplement communication ni, de manière plus positive, concorde. S’entendre, c’est communiquer mais aussi partager, s’accorder, se comprendre. Ainsi on peut communiquer sans pour autant se comprendre et s’accorder. Diviser, au sens large du terme, veut dire séparer. L’idée que le langage séparerait les hommes semble paradoxale. Comment un moyen de communication qui lie par définition, peut-il séparer ? De même qu’il y a plusieurs façon d’être unis, il y a plusieurs façon d’être séparés. La séparation peut prendre la forme de l’absence de communication, de l’absence de collaboration, de l’absence de compréhension, de l’absence de reconnaissance. La division peut se manifester par l’indifférence, l’exploitation, le mépris ou la guerre. |
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Le langage peut contribuer à, c’est-à-dire être un facteur d’union ou de division parce qu’il en est soit une condition nécessaire, soit une condition suffisante, soit une condition à la fois nécessaire et suffisante ou encore parce qu’il est simplement un élément favorisant sans être ni nécessaire ni suffisant. |
Problématique
Partons de ce simple constat : les hommes sont unis puisqu’ils vivent en société ; ils sont divisés puisqu’ils sont en perpétuel conflit.
Si le langage est spécifiquement humain, quel rôle joue-t-il dans ce double processus ?
Les hommes communiquent grâce au langage. Ils sont donc, en un certain sens, unis par le langage, comme le montre le simple schéma d’une situation de communication :
Mais le simple fait que des divisions existent semblent indiquer que la communication linguistique n’est pas une condition suffisante de l’union à tous les sens du terme. En est-il au moins une condition nécessaire ?
Eléments pour le développement
1 – Le langage en tant qu’il favorise la communication est nécessaire à la constitution de liens sociaux.
Pas de société sans moyen de communication (langage au sens large).
Vivre ensemble suppose un minimum de coordination et d’échange, donc un minimum de communication entre les membres de la communauté. Ex. : les codes de signaux des insectes sociaux.
Or, le langage humain, en associant dans les signes une chose matérielle quelconque (sonorité, dessin, geste…) et un concept de façon conventionnelle et arbitraire, constitue un puissant moyen de communication : il est polyvalent (on peut virtuellement échanger sur tout), économique (grâce à la double articulation) et évolutif (il peut toujours s’adapter et s’enrichir). Il permet donc au plus haut point la coordination de l’action et l’échange d’information.
En tant que moyen de communication, le langage humain permet l’intersubjectivité. Descartes voit même dans le langage la seule façon de sortir de l’isolement de la conscience de soi : je sais que je ne suis pas le seul être pensant au monde parce que les autres hommes, contrairement aux animaux, parlent comme moi pour exprimer leurs pensées. Le langage permet la communication des consciences.
Pas de société proprement humaine sans langage au sens étroit du terme (système de signes conventionnel et doublement articulé).
Plus particulièrement, pas d’état de droit sans langage.
Le caractère abstrait et conventionnel du langage humain permet la relation contractuelle. De la simple promesse au Code civil en passant par le contrat juridique, le langage lie les contractants par la parole engagée ou le texte signé qui remplacent les mécanismes innés et les simples rapports de force naturels. Le langage, par l’intermédiaire du droit, règle les relations humaines sur la base d’un consensus (accord volontaire).
Ainsi, ce que le langage permet d’élaborer, c’est un monde commun qui n’est pas seulement un monde de choses, mais un ensemble de valeurs. Le langage unit non seulement parce qu’il favorise la communication, mais aussi parce qu’il favorise la « communion », c’est-à-dire l’instauration des règles communes morales, juridiques ou esthétiques. Les notions de Bien/Mal, Juste/Injuste, Beau/Laid comme d’ailleurs celles de Vrai/Faux n’existent que dans et par le langage. Elles supposent le jugement.
Le langage en ce sens n’est pas seulement un outil qui permet de communiquer les valeurs communes, il contribue à les céer. La linguistique a bien montré que la langue modèle et construit notre rapport au monde : on pense comme on parle. Une communauté linguistique est une communauté culturelle. On résume cette idée sous le nom de deux linguistes « hypothèse de Sapir et Whorf ».
Voir Annexe 1 ci-dessous.
Pas de transmission culturelle sans langage
Non seulement le langage, en tant que porteur d’une vision du monde, unit culturellement les membres d’une même communauté linguistique, grâce au langage, cette vision commune est transmise de génération en génération. L’union des individus dépasse donc le cercle de la communauté réelle des vivants : en transmettant l’héritage culturel, le langage permet de lier les générations présentes aux générations passées et aux générations futures.
Porteur de l’identité culturelle, le langage n’est-il pas en même temps porteur de la diversité culturelle, justement pour la même raison : son caractère conventionnel ?
2 – Le langage n’est pas une condition suffisante de l’union : en unissant, il divise en tant qu’il renforce la diversité et crée la discrimination
La diversité des langues et des cultures divise les êtres humains
On communique et on s’identifie – du moins, on le peut -, grâce au langage. Mais se comprend-on ?
Evidence contraire à celle de la première partie : on communique souvent sans pouvoir pénétrer les subtilités de telle ou telle culture et la langue de la communication, des échanges ou des contrats ne nous rapproche pas toujours suffisamment de nos interlocuteurs.
C’est qu’autre chose se joue dans la langue qu’une simple fonction générique – ce que nous avons nommé plus haut fonction linguistique : il s’y joue aussi le rapport avec une culture, une vision du monde, des valeurs.
Il faut donc prendre au sérieux l’obstacle et sous les conflits de mots, il faut savoir saisir les conflits de choses ou d’intérêts.
A l’intérieur d’une même communauté, la langue peut être un instrument de malentendus ou de discrimination
Le langage peut être source de malentendus, volontaires (le mensonge) ou involontaires. (Il faut analyser pourquoi. Cela tient à la nature même du langage).
Le langage peut être un instrument de violence symbolique : insultes, manipulations, mensonges. Ex. : les discours racistes
Cependant, la prise de conscience de l’obstacle et de sa nature est peut-être moins une menace qu’un espoir.
3 – Le langage unifie en tant qu’il permet la recherche de la vérité dans le dialogue
Le langage permet de connaître des cultures différentes et de les accepter
Savoir s’unir, c’est peut-être d’abord savoir entendre et accepter ce qui nous sépare. La langue est à ce titre un vecteur essentiel. Comme on l’a vu, c’est en elle et par elle que sont véhiculées les visions du monde propres à chaque peuple. Mais une langue peut toujours s’apprendre. La faculté du langage chez l’homme n’est pas restreinte à l’utilisation d’un code de signaux prédéterminé. Ce qui permet la diversité culturelle permet aussi la compréhension transculturelle. Cette diversité des langues et des cultures, dont on a vu qu’elle était facteur de dissension, est aussi une richesse. Dès lors, vouloir la supprimer, ce serait vouloir supprimer des différences (et l’effort pour comprendre des différences) sans lesquelles il n’y aurait pas d’échange de culture et, finalement de véritable union entre les peuples !
L’ethnocentrisme qui consiste à rejeter dans la nature (sous le nom de « barbarie ») les formes culturelles les plus éloignées de celles qui nous sont familières divise et détruit (ex. : le colonialisme). Mais le vrai barbare n’est-il pas celui qui, par étroitesse d’esprit, refuse de reconnaître la différence ? Ainsi, dit Lévi-Strauss : « Le barbare est celui qui croit en la barbarie ». (Etymologiquement, le mot « barbare » renvoie au chant inarticulé des oiseaux.
Peut-on « entendre » ceux qui ont été réduits au silence ? La véritable entente ne passe-t-elle pas par l’acceptation d’entendre les différences ? Et, de ce point de vue, le langage, s’il n’est pas suffisant à garantir l’union (au sens de la compréhension) entre les hommes, en est la condition nécessaire
L’effort pour se mettre d’accord sur des valeurs fondamentales communes au-delà de la diversité culturelle témoigne de cette conciliation grâce au dialogue entre les peuples. : Déclaration universelle des droits de l’Homme de l’ONU. Il s’agit bien d’un texte rédigé dans le dialogue.
Le langage permet aux individus, et pas seulement aux groupes, de confronter des points de vue différents, de les tolérer et, dans le meilleur des cas, d’atteindre une vérité partagée.
Voir le texte de Merleau-Ponty sur le dialogue.
Qu’est-ce qu’un dialogue ? Le véritable dialogue est plus qu’un simple échange de parole. D’où la nécessité, nous dit Platon, de respecter certaines règles (ne pas se contredire, être de bonne foi, écouter, accepter l’objection, être prêt à reconnaître ses erreurs…)
Le dialogue s’oppose à la fois au discours et à la simple conversation. C’est une communication linguistique orale qui suppose l’échange de vues.
Dans le dialogue, les interlocuteurs prennent tour à tour la parole. Les rôles émetteur/récepteur sont interchangeables entre les interlocuteurs. Le canal est réversible. Mais le véritable dialogue est plus qu’un simple échange de paroles : l’échange dialogué suppose un partage d’idées et non la pure affirmation dogmatique d’une opinion. D’où la nécessité, nous dit Platon, de respecter certaines règles (ne pas se contredire, être de bonne foi, écouter, accepter l’objection, être prêt à reconnaître ses erreurs…). La parole échangée suppose la recherche d’une vérité partagée et non la pure affirmation dogmatique d’une opinion. Dans l’échange, on est prêt éventuellement à changer de point de vue.
Le Dialogue, dit Merleau-Ponty, nous fait sortir de notre subjectivité en créant un « tissu commun ».
Que faut-il entendre par « tissu commun »? Il s’agit d’une même vérité. De plus, Merleau-Ponty nous dit que ce tissu se fait à deux : comme dans un tissage, il faut deux fils, la trame et la chaîne; l’un des interlocuteurs fournit la trame, l’autre la chaîne et la signification commune (le tissu commun) est la résultante des deux. Le dialogue crée ainsi un « terrain commun ». Il s’agit du monde en tant qu’il est non seulement mon monde, mais aussi le vôtre. Le langage, et plus particulièrement son exercice dans le dialogue, est une condition de possibilité de l’objectivité. Cela ne veut pas dire que moi et mon interlocuteur avons les mêmes pensées, les mêmes points de vue. Bien au contraire : il faut deux fils distincts pour faire un tissu, la chaîne et la trame qui s’entrecroisent mais ne se confondent jamais. Nous pensons différemment, mais nous pensons ensemble. « Penserions-nous beaucoup et penserions-nous bien si nous ne pensions pas pour ainsi dire en commun avec les autres? » (Kant)
Ainsi, Le dialogue libère de l’opinion. C’est la liberté de pensée, la pensée libérée de la subjectivité, autrement dit, c’est l’objectivité que le langage rend possible. Le lien par excellence entre les hommes n’est-il pas cette possibilité d’une science partagée ?