Cet été des profs se racontent – épisode 1 – Romuald.

Aujourd’hui, Romuald inaugure les portraits d’été,  il a accepté de répondre à notre questionnaire long et parfois un peu difficile et nous l’en remercions.

Bonne lecture!

Du rêve à la réalité du métier…

1.  Quelle est la matière que tu enseignes ? A quels niveaux ?

Histoire Géographie Enseignement Moral et Civique  à des lycéens (2nde et 1ère Gale et Technologique) après 15 ans de collège.

  1. Depuis quand enseignes tu ?

J’ai commencé ma carrière en septembre 2006 comme stagiaire.

  1. Pourquoi as-tu choisi d’exercer ce métier ?

Tout petit déjà j’adorais l’Histoire, que ce soit dans les livres, les films ou encore les jouets. En classe de troisième, lorsque mon professeur principal, M. David, m’a fait travailler sur mon orientation et mon projet professionnel, j’ai décidé de devenir enseignant car j’aimais aider mes camarades à faire leurs devoirs.

  1. Est-ce que la réalité de ton métier coïncide à ce pourquoi tu as choisi de l’exercer ? Pourquoi ?

Lorsque j’ai choisi ce métier, je l’ai fait en sachant deux choses. Premièrement, il fallait quitter mon Pays Basque natal pendant plusieurs années, sauf à enseigner dans le privé, ce qui était incompatible avec mes convictions politiques et personnelles. Deuxièmement, je ne deviendrais jamais riche. Sur ces deux points, la réalité du métier ne m’a pas surpris. Néo-titulaire, j’ai été muté dans l’académie de Versailles où je suis resté deux ans, ce qui est finalement très peu. Revenu en Aquitaine, j’ai dû patienter 12 ans dans le Nord-Gironde avant de revenir enfin à Saint Jean de Luz. En ce qui concerne le salaire, j’estime qu’avec 2 000 € nets (hors heures supplémentaires) après 15 ans de carrière, je ne suis effectivement pas riche.

Dans mon quotidien de professeur, je suis confronté au peu d’appétence de mes élèves pour l’Histoire Géographie. Là non plus je ne suis pas étonné car déjà en tant qu’élève, je voyais bien que j’étais le seul ou presque de ma classe à aimer ça, donc devoir batailler pour que mes élèves s’y intéressent me paraît normal. En revanche, c’est le manque d’intérêt pour l’école en général qui me choque. De par l’éducation que j’ai reçue dans ma famille, j’ai toujours considéré l’école comme une priorité et comme le moyen d’accéder à la vie d’adulte que je souhaitais. Je suis bien obligé de constater que pour un grand nombre d’élèves et de leurs parents, l’école passe bien après les vacances, les activités sportives, les loisirs, etc.

  1. Raconte-nous un de tes plus précieux souvenirs pédagogiques, une belle surprise que tu as pu vivre dans ce métier.

En préparant mon cours sur la ville de demain en classe de sixième, j’avais prévu de leur faire réaliser, en groupe, un plan imaginaire en tenant compte des problématiques de développement durable étudiées pendant le cours. Je craignais le pire (absence de travail, dessins hors de propos, agitation et bruit incontrôlable, etc.) mais finalement, j’ai été bluffé par leur investissement, la qualité de leur travail et de leurs productions.

  1. Quels sont tes projets, tes envies, tes ambitions pédagogiques pour la rentrée 2022 ?

Travaillant dans un lycée proposant de nombreuses sections spécifiques, j’ai eu envie de monter un projet qui concerne tout un niveau et pas seulement telle ou telle section. J’ai donc choisi le Festival International du Film d’Histoire de Pessac dont le thème 2022 « Masculin Féminin » s’intègre dans le programme d’EMC de 1ère et va permettre à toute l’équipe d’Histoire-Géographie de participer au projet.

D’autre part, j’ai choisi d’enseigner la spécialité Histoire-Géographie-Géopolitique-Sciences Politiques en classe de 1ère afin de découvrir un enseignement nouveau pour moi et qui s’adresse à des élèves très investis, dans la mesure où c’est un choix de leur part de suivre cet enseignement de spécialité.

 

Du lien aux liens…

 

  1. Que dirais-tu des relations que tu tisses avec tes élèves ?

J’ai le sentiment que j’arrive à instaurer une relation de confiance entre eux et moi, que j’essaie d’entretenir en leur parlant de la manière la plus sincère possible. Je n’interdis aucun questionnement a priori, car je préfère entendre leur opinion ou leurs doutes, même s’ils peuvent être déplacés ou dérangeants. Pour moi, cela fait partie de mon métier de les aider à réfléchir à tout ce qui les concerne, même en dehors de l’Histoire Géographie.

J’essaie également de les connaître davantage, en m’intéressant à leurs activités extra-scolaires, ce qui me permet de mieux les comprendre et donc de mieux les accompagner dans leurs apprentissages.

  1. Que dirais-tu des relations entre membres de l’équipe pédagogique ?

Il me semble que les relations sont plutôt bonnes. Bien évidemment, vu le nombre de professeurs, il existe forcément des affinités et des inimitiés mais cela n’entrave pas, de mon point de vue, le bon fonctionnement du lycée. Heureusement que des opinions contraires existent et peuvent s’exprimer dans une salle des professeurs, sinon ce serait triste.

  1. Que dirais-tu des relations que tu as pu construire avec les familles ?

En restant 12 ans dans le même établissement, j’avais réussi à obtenir de bonnes relations avec la plupart des familles. Lorsque j’accueillais en classe le deuxième ou troisième enfant d’une même fratrie, les retrouvailles avec les parents étaient très amicales.  J’ai toujours choisi de privilégier les rencontres physiques en rendez-vous plutôt que les échanges écrits ou téléphoniques qui laissent trop de possibilités de malentendu. Cela me permet souvent de désamorcer les conflits.

  1. Depuis tes débuts, quelles évolutions as-tu constatées dans le métier pour toi ? Pour tes élèves?

Ayant commencé à enseigner en 2006, pour moi c’est la place de l’informatique qui a le plus évolué. Alors que dans mes premières années, j’utilisais encore le format papier pour les cahiers de texte de la classe, les appels de début de cours, etc., aujourd’hui tout est informatisé. Mis à part lorsque je suis en classe face à des élèves, j’ai le sentiment d’effectuer un travail de bureau. Paradoxalement, l’informatisation a alourdi les procédures. Pour demander une subvention pour un projet, il fallait auparavant justifier la demande en rédigeant simplement le projet pédagogique. Désormais, il faut compléter un formulaire en ligne de 50 ou 70 questions, pas toujours adaptées à la situation. Une fois le projet réalisé, il faut encore faire un bilan en ligne qui consiste à redonner les mêmes réponses aux mêmes questions que lors de la demande. Que de temps et d’énergie perdus…

Un autre changement important est le développement de l’école inclusive. Enfin, prétendument inclusive. Car qui peut croire qu’inclure un élève à besoins particuliers dans une classe de cinquième de 30 élèves, sans lui adjoindre d’Accompagnant d’élèves en situation de handicap (AESH), est un service à lui rendre ? Dans quel monde les autres élèves de la classe vont, gentiment et sérieusement, réaliser en autonomie le travail proposé par l’enseignant(e), pendant que ce(tte) dernier(ère) répond aux besoins particuliers de cet élève ? L’institution ment aux familles en leur faisant croire que les besoins de leur enfant sont pris en compte. Au final, c’est la persévérance de la famille qui permettra, ou pas, à l’élève d’obtenir les aménagements auxquels il a droit, pendant que son enseignant(e) produit de la paperasse pour permettre à l’institution d’affirmer que la situation particulière de l’élève a été prise en compte.

Enfin, pour les élèves, le développement des outils numériques a eu des effets très antagonistes. D’une part, ils peuvent bénéficier de ressources pédagogiques plus diversifiées, qui permettent davantage de participation des élèves, et d’une communication plus facile et plus directe à leur(e) professeur(e). D’autre part, certains(e)s élèves en viennent à penser, à tort, que le cours est moins important car les ressources seront à disposition sur l’environnement numérique de travail. De plus, la non-maîtrise des codes de langage entraîne des messages inappropriés, malpolis, ou revendicatifs à l’excès.

 

De maintenant à demain…

 

  1. Comment et où te vois-tu dans cinq ans?

Étant donné que je viens d’arriver en lycée, je pense que dans cinq ans je n’aurais toujours pas terminé mon adaptation. J’imagine simplement que je serai en capacité de proposer davantage de projets à mes élèves.

  1. Si tu pouvais demander une chose au ministre de l’éducation nationale ce serait quoi ?

Puisque l’Éducation est nationale et se doit d’accompagner tous les élèves, quel que soit leur niveau scolaire et leur degré de pénibilité, je lui demanderais de supprimer l’enseignement privé.

  1. Quelle serait ton école du futur idéale ?

Ce serait une école où les choix et la réussite des élèves ne seraient pas conditionnés par le milieu familial, la carte scolaire, la carte des langues et/ou des options disponibles sur le secteur.

 

De l’importance de se dire au revoir

Aujourd’hui, nous allons répondre à des questions qu’on s’est posé mutuellement pour mieux cerner ce besoin impérieux que nous avons au mois de juin de dire au revoir explicitement à nos élèves.

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Colette. -Quand as-tu réalisé qu’il t’était nécessaire de dire au revoir à tes élèves ?

Aude. – Dès mes premières années à St Yzan, j’ai éprouvé l’envie de dire au revoir correctement aux élèves même si, comme je l’ai dit dans ma chronique il y a 15 jours, j’ai mis du temps à trouver la meilleure façon de le faire et avec qui le faire. On a quand même entre 120 et 180 élèves chaque année et c’est difficile de prévoir quelque chose d’aussi bien pour toutes les classes.

Colette. – Je me rends compte, personnellement, que c’est vraiment avec le choc vécu en 2020, avec la pandémie de Covid qui nous a éloigné si longtemps de nos élèves de manière imprévue, que j’ai réalisé à quel point il était primordial d’expliciter la relation affective qui nous relie à nos élèves. En 2020,  nous n’avons pas pu dire au revoir à nos élèves, le retour au collège ayant été tellement différé et chaotique. J’ai beaucoup souffert de ne pas pouvoir leur dire au revoir cette année là. Enfin j’ai surtout beaucoup souffert de ne pas avoir pu toustes les revoir, tout simplement. Je me suis promis que ça n’arriverait plus jamais et l’année dernière pour le confinement de mars, je me suis empressée de fabriquer mes fameux origamis pour les distribuer à toustes mes élèves avant qu’ielles partent au cas où … L’idée c’était de leur dire au revoir quoi qu’il arrive !

Colette. – Est-ce à une occasion précise ou l’as-tu toujours fait depuis que tu enseignes ?

Aude. – C’est la deuxième année que je le fais ainsi avec la classe dont je suis professeure principale. Je réalise un diaporama des activités réalisées et je leur donne une carte rédigée à la main à chacun. J’aimerais l’an prochain ajouter des rituels pour qu’ils se disent au revoir entre eux aussi ou qu’ils puissent prendre conscience du chemin parcouru dans l’année parce qu’ils font tous des progrès, l’évolution compte pour chacun d’entre eux. Avec les classes à projets, je marque aussi le coup, un peu différemment avec un petit cadeau, des photos… L’an dernier c’est la première fois que je le faisais.

Colette. – Saurais-tu expliquer pourquoi tu en as ressenti le besoin ?

Aude. – Sans doute parce que j’avais eu ma mutation et que je savais que je n’aurais pas de nouvelles par les petits frères et sœurs ou les parents que je croiserais. Et bizarrement c’est une des promotions avec laquelle j’ai le plus de lien. Sur le compte instagram de Soline, j’ai vu passer ces lettres et ça m’a paru comme une évidence de mettre en place moi aussi ce rituel. Et toi ?

Colette. – Comme je le disais plus haut, j’ai eu besoin d’expliciter le lien que nous créons avec nos élèves. Ce lien a un début et ce lien a une fin. Mais ce lien existe. Souvent nous ne le nommons pas : est-ce de l’affection ? Est-ce de l’empathie ? Est-ce de l’intérêt ? C’est en écoutant Maxime Rovere parler d’amour pour qualifier les liens qui se tissent dans une classe à l’occasion de la sortie de son livre L’école de la vie que je me suis autorisée à assumer ce sentiment que je ressens depuis mon premier cours devant des élèves. Et comme toute relation s’entretient, je me suis mise à me demander comment entretenir cette relation. Dire merci, dire au revoir nourrit nos relations. C’est exactement pareil avec des élèves.

Colette. – As-tu déjà échangé avec des collègues autour de cette pratique ? Qu’as-tu appris ? Je passe pour un ovni quand je dis que je fais ça. L’ensemble de la salle des professeur.e.s trouve ça très étonnant et trouve que je m’implique bien trop dans mes relations avec mes élèves. Je pense d’ailleurs que ce n’est pas très bien perçu. Je ne l’évoque que très peu, si ce n’est avec toi. ça m’intéresse de savoir si tu a s échangé là dessus avec quelqu’un et ce que tu en penses ?

Colette. – Et bien il n’y a qu’avec toi que j’ai échangé à ce sujet mais cela me donne très envie de demander à mes amies enseignantes. Je suis certaine que nous ne sommes pas les seules à mesurer combien il est primordial de savoir se dire au revoir.

Colette. – Tu pourrais nous raconter ton plus beau souvenir d’au revoir ?

Aude. – J’en raconterais deux. Il ya eu celui de 2013 avec les 3ème avec lesquels on était partis en Angleterre, ceux du projet Frankton où là finalement je n’avais rien préparé, ils avaient tout fait tout seul, les cadeaux leurs petits mots égrénés un à un et déposés sur mon bureau, c’était incroyable, j’ai pleuré pendant la journée entière, j’aurais aimé les embrasser, les prendre dans mes bras, c’est probablement la seule classe où je me souviens de chacun d’eux, de leur nom, prénom, voix, de leur personnalité avec beaucoup de précisions!

Puis l’an dernier avec la classe défense, c’est deux heures ensemble avec nos tee-shirts, notre collation, nos lettres, les larmes de Y, la gourmandise de S, cette photo que j’ai toujours dans mon téléphone masqués mais aux yeux brillants témoignant du bonheur et de l’émotion  de partager un dernier moment ensemble. Cette classe a été révélatrice dans ma carrière parce qu’elle m’a permis de prendre conscience de l’importance du projet même d’un projet qui au départ ne nous appartient pas, ne nous plaît pas forcément, la force de la sortie « hors du collège en temps de covid » qui permet de créer des liens si importants pour eux et pour nous. La classe était difficile et je n’ai retenu d’eux que leurs qualités.  D’ailleurs avec le recul,  je me demande si j’aurais mis autant de cœur et d’investissement dans ce projet s’il avait été réalisé dans une année normale.

Colette. – Attends tu quelque chose de ce moment particulier ?

Aude. – Je ne sais pas, sans aucun doute oui, je n’attends pas un retour, ce n’est pour moi pas le moment du don et contre don comme à Noël par exemple, mais j’attends une prise de conscience de leur part de mon implication dans mon travail. Je pense d’ailleurs que c’est très déstabilisant pour eux, ils sont parfois gênés, surpris sans aucun doute. Et toi attends tu quelque chose de leur part ?

Colette. – J’attends sans doute qu’ielles mesurent le chemin parcouru et surtout qu’ielles prennent conscience que nous avons vécu ensemble une histoire. Et que cette histoire, qui a été la nôtre pendant un an, est désormais la leur pour l’avenir. Je crois que se joue dans les « au revoir » un certain rapport au temps. Au temps qui passe et dont nous pouvons nous réjouir ensemble.

Colette. – Penses-tu transmettre quelque chose à travers ce rituel ? Quoi ?

Aude. – Comme je l’ai suggéré juste au dessus, je souhaite leur rappeler l’importance des liens que l’on crée à l’école, que nous sommes importants les uns pour les autres. Sans doute que je souhaite transmettre le pouvoir de la gratitude, de l’estime de soi, on a le droit de se remercier, on a le droit de leur dire qu’ils sont des gens bien! Là aussi encore plus en lycée général qu’en REP, la bienveillance, la gratitude, l’estime de soi, la confiance en soi sont loin d’être des valeurs essentielles pour de nombreux collègues et pourtant je reste convaincue que c’est bien plus important. J’aime bien cette citation d’Albert Einstein sur l’école: « Nous passons 15 ans à l’école, et pas une fois, on ne nous apprend la confiance en soi, la passion et l’amour qui sont les fondements de la vie ». j’ose espérer que je contribue à cet enseignement là par ce biais.

Colette. – Comme toi, j’espère à travers ces rituels et bien d’autres, comme le conseil coopératif, l’accueil personnalisé à la porte de la salle, le parrainage-marrainage ou la porte ouverte aux récréations, nourrir chez mes élèves la capacité à écouter, à rester attentive et attentif aux autres et à soi. Se dire au revoir c’est se reconnaître, approuver le chemin tracé ensemble et montrer qu’on a confiance en l’avenir. Ce n’est pas facile mais c’est essentiel. C’est un deuil et c’est une renaissance.

Tous au spectacle!

La semaine dernière Colette me proposait un crible de questions pour vous expliquer l’intérêt de la sortie au cinéma. Cette semaine, on inverse les rôles pour évoquer les avantages d’amener nos élèves au contact du spectacle vivant!

 Comment s’organise une sortie culturelle en soirée? je veux tout savoir, je n’en ai jamais fait.

Pour tout te dire, c’est très simple : en équipe nous épluchons les programmations des différentes salles de spectacle de Bordeaux, de la CUB et de la Haute-Gironde dès le mois de Juin. Nous sélectionnons les spectacles qui correspondent à des entrées du programme de Français des différents niveaux, nous choisissons bien entendu les salles où les scolaires, notamment le collégiens, sont les bienvenus, puis nous regardons les dates pour qu’elles coïncident avec le calendrier scolaire. Nous contactons ensuite les salles de spectacle retenues et nous réservons 48 places pour chaque niveau. Ensuite c’est la foire d’empoigne car comme nous ne pouvons amener que des volontaires puisque ces sorties sont hors temps scolaires, nous sommes obligées d’inventer des stratagèmes tous plus alambiqués les uns que les autres pour sélectionner les heureux élus, ceux qui pourront s’offrir le luxe de prendre le bus scolaire de nuit pour traverser la moitié du département pour aller voir du THEATRE !!!

Peux tu nous raconter comment tu sélectionnes les spectacles à aller voir avec les élèves?

Nous le faisons en équipe en fonction des entrées du programme. C’est vraiment très aléatoire puisque cela dépend beaucoup de l’offre culturelle. Mais mes collègues sont vraiment très volontaires et nous sommes souvent prêtes à faire des kilomètres pour voir une pièce qui collera parfaitement à une entrée du programme ou dont nous sommes sûres que la troupe va époustoufler nos apprentis spectateurs.

Existe-t-il des freins à la mise en place de genre de projet?

L’argent bien entendu ! En effet, comme notre collège se situe en zone rurale, nous sommes loin des lieux culturels qui proposent du spectacle vivant. La réservation d’un bus nous coûte toute de suite près de 400 €, ce qui explique  pourquoi nous amenons si peu d’élèves : nous ne louons qu’un seul bus pour ses sorties. Personnellement, je préfèrerai amener des classes entières mais les subventions qui nous sont allouées pour mettre en place le projet « Théâtre en soirée » ne couvrent pas le transport. En ville, il est bien plus facile d’amener les élèves au spectacle puisque les lieux culturels peuvent être rejoints à pieds ou en transport en commun ce qui réduit considérablement le coût des sorties scolaires. Un nouveau frein a vu le jour depuis deux ans : certaines salles de spectacle n’ouvrent plus aux scolaires l’ensemble de leur programmation… Seuls certains spectacles ciblés sont accessibles aux collégiens, ce qui a été vécu par l’équipe comme une forme de censure.

Quel est l’intérêt pédagogique d’amener les élèves voir du spectacle vivant?

Pour beaucoup de nos élèves de REP rural, aller voir du spectacle vivant n’est pas une habitude familiale pour de multiples raisons géographiques et économiques. C’est donc tout d’abord l’occasion de se confronter à de nouvelles pratiques culturelles. C’est surtout l’occasion de travailler un genre littéraire très particulier, le théâtre, que l’on ne peut aborder sans le VIVRE en tant que spectateur. La question des choix scénographiques, l’expérience de la voix, des corps, des lumières, de la musique, tout ce qui fait l’essence même du théâtre a surtout lieu sur scène, les lectures ne suffisent pas à le comprendre. C’est pourquoi le théâtre est avant tout une expérience plutôt qu’une somme de connaissances. Et puis, comme toujours avec les sorties scolaires, elles permettent de vivre un moment suspendu ensemble qui nourrit une certaine complicité entre enfants et adultes, complicité qui sera essentielle pour poursuivre les apprentissages pour certains d’entre eux.

Souvent ce sont des soirées et c’est payant, tous les élèves n’y vont pas, du coup comment l’exploites tu dans ta pratique pédagogique?

C’est le point faible de notre projet, point faible lié aux contraintes géographiques et économiques déjà évoquées. Il est très difficile de l’exploiter en classe puisque c’est un projet qui n’inclut pas tout le monde. Par conséquent, en général, j’invite les élèves qui sont sortis, à rendre compte du spectacle sous forme d’article pour le site du collège ou en leur confiant la responsabilité d’une partie de la séquence sur le théâtre, notamment concernant le questionnement lié à la mise en scène.

Peux tu nous raconter l’une de tes plus belles sorties en soirée avec tes élèves?

Je raconterai notre dernière sortie au théâtre : après deux ans de disette culturelle, nous avons pu renouer cette année avec le spectacle vivant ! Le 14 décembre, nous nous sommes rendus avec les 6e volontaires dans un théâtre de la CUB pour assister à un one woman show particulièrement touchant : « Cartable » de Gloria da Queija. Pendant 1h30, nous avons suivi les déboires et les enchantements d’une enseignante en primaire. Seule en scène, la comédienne, qui a enseigné pendant 10 ans, nous brosse le portrait de toutes celles et tous ceux qui font vivre l’école républicaine : de l’enseignante dévouée à l’inspecteur déconnecté des réalités du métier, de l’élève brillant à la petite fille endeuillée, complètement noyée par sa tristesse, des collègues péremptoires au père d’élève dépassé, la comédienne joue tous les rôles avec une énergie incroyable. C’était drôle et vrai. Sincère. Les élèves ont été impressionnés par la qualité et la générosité du jeu de la comédienne. C’était un spectacle qui permettait d’aborder l’essence même du théâtre : une humaine sur scène qui incarnait toute une palette de personnages. Sans décor, sans costumes. Juste une humaine. Qui jouait avec nos émotions. Sans oublier de nous faire réfléchir !

En quoi est-ce selon toi un moment privilégié?

Le spectacle vivant est une expérience totale, à la fois intellectuelle et physique. Tous nos sens sont requis pour profiter pleinement de ce qui se joue devant nos yeux. A tout moment, tu peux être « contaminée » par ce qui se passe sur scène. Il y a une sorte de mise en danger de ton univers, de ton intégrité, de ton identité. Certes il y a le fameux « quatrième mur » qui te protège de ce qui se passe sur scène, mais ce quatrième mur semble souvent prêt à s’effondrer ( nombreux sont les spectacles contemporains où les comédien.ne.s franchissent allégrement ce fameux mur). D’ailleurs c’était assez édifiant, lors de la sortie avec les 6e dont j’ai parlée précédemment, certains n’avaient pas les codes propres au théâtre et quand la comédienne interpellait les élèves imaginaires de sa classe, certains élèves répondaient à voix haute, ils n’avaient pas compris que c’était la particularité du jeu théâtral. Ces sorties sont essentielles aussi pour ça : elles apprennent à nos élèves à appréhender les règles du jeu. Du jeu de la vie en société, cette société qui s’est construite avant eux sur des traditions, des codes que nous nous devons de leur transmettre pour mieux qu’ils les transgressent, ou les transforment à l’avenir.

On espère qu’on vous donnera envie d’amener vos élèves au théâtre, à l’opéra, dans des salles de concert, dans des festivals, partout où le spectacle doit avoir lieu!

on vous laisse avec les salles préférées de Colette

Le Champ de Foire à Saint André de Cubzac

Le TNBA

L’espace culturel du Bois Fleuri

 

De l’intérêt d’amener ses élèves au cinéma – Le témoignage d’Aude.

Dans le cadre de notre mois thématique consacré à l’intérêt d’organiser des sorties culturelles pour nos élèves, nous vous livrons aujourd’hui les réponses d’Aude concernant les séances dédiées au cinéma.

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Colette. – Dans quel(s) cadre(s) amènes tu tes élèves au cinéma ?

Aude.-  J’amène mes élèves au cinéma parfois dans le cadre de « collège au cinéma », de festivals comme le festival du film d’histoire de Pessac ou le festival des jeunes réalisateurs de Saint jean de Luz et je n’inscris mes classes que si j’y vois une application pédagogique après la séance qui concerne le contenu, l’histoire du film, le contexte évoqué plus que pour l’analyse filmique ou le travail de critique cinématographique. Je laisse cette dimension, avec laquelle je ne suis pas à l’aise, à mes collègues d’arts plastiques, de lettres ou de philosophie. Je manque souvent de vocabulaire et de techniques pour l’analyse à proprement parlé même si je trouve cela passionnant. Je me sens même parfois handicapée dans ce domaine.

Colette. – Quels sont tes objectifs quand tu organises une sortie au cinéma ? Vises-tu seulement des compétences disciplinaires ou mises-tu aussi sur d’autres compétences (psycho-sociales ou émotionnelles par exemple) ?

Aude. – Jusqu’à présent, et comme je l’ai dit dans la question 1, j’ai besoin, parce que je n’étais pas à l’aise avec ça, d’avoir une porte d’entrée historique, géographique, sociale ou civique. J’ai un rapport au cinéma très particulier :  j’aime l’ambiance des salles feutrées où j’allais quasiment une fois par semaine avec mes parents étant enfant, adolescente et même étudiante, j’aime y pleurer, y rire à gorge déployée, découvrir la délicatesse des émotions de mes compagnons de séance. J’aime beaucoup l’idée de pleurer ensemble et l’image m’a toujours permis d’éprouver certaines émotions plus facilement qu’avec un livre. Cette mise à nu qu’offre la salle de cinéma me rend toujours un peu gauche quand les larmes ou la stupeur, ou la peur (les doigts plantés dans le bras de mon mari durant tout le visionnage de Dunkerque...) ou la tristesse m’envahissent. J’espère encore, mais de moins en moins, que les élèves n’ont pas perçu tous les sentiments qui ont pu me traverser d’ailleurs, même si je me laisse de plus en plus aller même en leur présence. Il est donc pour moi très compliqué de travailler les compétences socio-émotionnelles à partir de séance avec mes élèves même si je ne doute pas que les films choisis évoquent chez eux des sentiments, des avis, mais je les leur demande très rarement lors du retour de la séance.

Bref je m’égare ! Donc pour répondre à tes questions, l’objectif reste avant tout disciplinaire même si je reconnais que parfois c’est un peu tiré par les cheveux. je me souviens du visionnage de Phantom boy où j’avais préparé un questionnaire sur les droits des enfants, le traitement de la ville dans le dessin animé, sur l’espace vécu d’un enfant malade (lien avec la ville de l’inclusion des handicapés) alors que les élèves ne voulaient me parler que de cet enfant malade, de la capacité de résilience… Aujourd’hui, je le traiterais proprement bien différemment.

 

 

Colette. – Qu’est-ce que ce genre de support- le film –  apporte à l’enseignement de ta matière ?

Aude. – Du concret. Je pense notamment à des films mémorielles sur le génocide juif ou sur la première guerre mondiale ou encore sur des espaces lointains. Par exemple, j’aime beaucoup travailler Himalaya, l’enfance d’un chef pour les espaces à fortes contraintes. D’abord parce que le film est esthétiquement magnifique puis on voit bien que même aujourd’hui, dans certains lieux l’homme ne peut pas s’affranchir de la contrainte climatique ou de relief.

Ensuite une ouverture sur l’ailleurs, une meilleure compréhension du monde et enfin un regard critique. Là aussi je pense à des films comme Good Morning Vietnam réalisé en 1987 où on évoque les pacifistes américains, la contre culture, la place de cette guerre dans la mémoire américaine, la difficulté d’en parler 15 ans après aux Etats-Unis…

Colette. – Ferais-tu une différence entre ce qu’apporte la fiction et le documentaire ?

 Aude. – Dans ma discipline, plus que jamais. On utilise les deux, et j’aime beaucoup d’ailleurs évoquer le traitement de l’évènement ou du lieu à travers le documentaire et leur montrer que même là le réalisateur fait des choix et qu’il faut avoir un esprit critique sur l’image. J’ai tendance à travailler l’esprit critique bien plus sur un documentaire que sur une fiction. Je pense notamment aux documentaires Home de Yann Arthus Bertrand, sublime, qu’on a beaucoup utilisé en géographie mais qui a une empreinte carbone importante. J’aime bien aussi utilisé les documentaires Apocalypses et les comparer aux images de l’I.N.A non recolorisées afin de voir que les mêmes images n’ont pas forcément le même traitement documentaire.

La fiction permet souvent de rentrer dans un sujet de manière moins dramatique parce que justement l’élève espère que ce ne soit pas vrai ou exagéré et ensuite on compare à des témoignages ayant une portée historique.

Colette. – Peux-tu nous raconter ta dernière sortie cinéma ?

Aude. – Je suis allée voir Les meilleures au cinéma. Ce film raconte l’histoire d’une jeune fille qui découvre son homosexualité et sa première histoire d’amour homosexuelle dans une banlieue parisienne. La réalisatrice était présente et j’ai trouvé le débat bien plus intéressant que le film en lui même. Les élèves étaient très touchés parce que le traitement du film était à leur portée, c’était un sujet par lequel ils se sentaient concernés : le coming out, l’influence des réseaux sociaux,… Ils ont aussi étaient très attentifs au traitement artistique du film et je ne m’y attendais pas du tout. J’ai été très émue parce que c’était ma première sortie au cinéma au lycée et j’ai trouvé justement qu’il y avait de la part des élèves une plus grande expression de ce qu’ils avaient ressenti lors de la projection du film.

Colette. – Quelles notions as-tu pu travailler avec tes élèves grâce à cette sortie ?

Le film m’a permis de travailler le repli sur soi et la nécessité de l’interconnaissance dans la consolidation des liens sociaux au sein de la société française, dans le cadre du programme d’E.M.C de première. Lors des deux séances de retour sur le film on a évoqué à la fois la question des LGBT+ mais aussi de la vie dans les quartiers défavorisés des grandes villes qui leur est complètement inconnu depuis la côte basque.

Colette. – As-tu adopté une démarche pédagogique particulière à cette occasion ? Si oui laquelle ?

J’avais demandé aux élève de faire la critique du film avec l’analyse filmique, ce qu’ils avait aimé pas aimé et pourquoi conseilleraient-ils le film à un camarade. Ensuite en classe, ils ont du répondre à des questions sur le fond qui portaient sur le quartier (une description de paysage), les personnages ou les lieux du films qui évoquent l’état, la cohésion sociale à la française (la MJC, l’école, le travail…) des questions sur la place des réseaux sociaux dans leur vie d’adolescents et le rôle que peut avoir leur utilisation dans une démarche de repli sur soi. On a ensuite débattu sur les décisions que le personnage principal avait pu prendre pour ensuite arriver à l’idée de la nécessité de respecter les différences, de développer l’interconnaissance et nous finissons ce cycle par la réalisation de brochures de sensibilisations sur des causes ou des groupes de personnes qui peuvent connaître un repli sur soi ! Des thèmes ont émergés comme les LGBT, mais aussi les personnes âgées, les SDF, les enfants battus…Je récupère d’ailleurs les brochures vendredi !

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