En Californie, à l’école franco américaine de San Diego, la population des élèves est largement minoritairement française, et largement majoritairement américaine, mais de très nombreuses nationalités sont représentées: mexicaine, indienne, chinoise, russe, philippine, turque, et d’autres encore. De nombreux élèves arrivent à l’école et ne parle que leur langue maternelle, qui n’est parfois ni le français, ni l’anglais. Le français est la langue utilisée de manière prédominante en classe, mais la langue du jeu et de communication entre les élèves est l’anglais.

J’ai discuté avec certaines familles sur leur choix d’exposer leur enfant à une éducation plurilinguiste dès leur plus jeune âge, bien que ne parlant pas le français à la maison. L’une des raisons évoquées de manière récurrente est l’ouverture d’esprit proposée et la capacité de l’enfant à assimiler dès son plus jeune âge les différences (culturelles notamment), à travers l’apprentissage d’une nouvelle langue, comme une richesse pour aborder le monde de demain.

Dans ma classe de moyenne section, les élèves sont issus de cultures française, américaine, mexicaine, russe. Ils parlent tous l’anglais, parfois en plus de leur langue maternelle, mais certains ne parlent pas le français. Tous les élèves sont donc déjà plurilingues. J’ai noté que les élèves qui ne parlaient pas du tout le français à la rentrée, sont plutôt restés en retrait du groupe durant les premières semaines, mais il s’agissait d’une attitude volontaire de leur part, pas d’une exclusion. Les autres élèves avaient plutôt tendance à aller vers eux et à chercher à les intégrer à leurs jeux. Ces élèves sont par ailleurs tout à fait à l’aise académiquement. En quelques semaines, ces élèves ont déjà beaucoup progressé en français, en particulier au niveau de la compréhension – ils ‘expriment encore assez peu en français.

L’école propose également un programme de mandarin pour les élèves de moyenne et grande section, optionnel mais intégré au cursus scolaire. En moyenne ¼ à 1/3 des élèves suivent ce programme. Dans ma classe ¼ des élèves y participent cette année.

Dans ma classe donc, et plus largement dans l’école, le plurilinguisme se pratique au quotidien et de manière très positive. Aborder la question multiculturelle, l’intégrer au quotidien dans la classe et dans les relations avec les familles, représente, me semble-t-il, un enjeu ouvert et complexe, même dans un environnement que je qualifierais de très favorable.

Le plurilinguisme

En Amérique du Nord, au Canada où j’enseigne, le bilinguisme a longtemps été perçu comme négatif puisqu’on pensait qu’il nuisait à l’apprentissage de la langue de l’école . Maintenant, grâce à des études faites sur le bilinguisme et son impact en milieu scolaire, le bilinguisme est perçu de façon plus positive car les élèves bilingues maîtrisent mieux certaines notions, de grammaire par exemple. Le vocabulaire des élèves bilingues au primaire est plus réduit mais en fin de course sera plus riche que celui d’un élève unilingue (Phaedra Royle, Universitzé de Montreal). Des études précisent aussi que les bi-plurilingues bénéficient de fonctions cognitives plus grandes ( Diane Poulin-Dubois, professeure de psychologie à l’université Concordia).

Dans mon institution, nous avons commencé à nous pencher sur la neuroscience et l’impact diu bi-plurilinguisme sur l’apprentissage du français. Ayant une forte majorité d’élèves Allophones, il s’impose de déterminer l’impact de la connaissance de plusieurs langues sur les apprentissages, notamment l’apprentissage du français.

Ma classe de Petite Section offre un éventail assez large de différences culturelles et donc d’apprenants monolingues français, monolingues anglais,, monolingue russe, bilingue mandarin-anglais, bilingue coréen –anglais et bilingue perse/farsi-anglais.

Depuis la rentrée, j’ai remarqué que des comportements très physiques ( pousser, mordre, frapper) sont apparus chez les élèves monolingues français et russe car la langue commune de jeux et de conversation entre élèves est l’anglais et ces élèves ne peuvent pas communiquer avec les autres. Aussi, plusieurs élèves monolingues anglais ont un vocabulaire assez pauvre et une prononciation/articulation difficile ce qui les empêche d’être bien compris et donc ont eux aussi adopté un comportement physique dans leurs relations avec les autres (pousser, frapper, crier). En Petite section, pour intégrer les élèves monolingues non anglais , nous mettons l’emphase sur l’apprentissage de vivre ensemble, de jouer , partager, respecter l’autre en apprenant à le connaître, ce qu’il aime ou n’aime pas, respecter les différences et reconnaître les similarités entre les élèves pour créer des liens psycho-affectifs. L’emphase est aussi mise dès leur arrivée sur l’apprentissage du français oral de la vie en commun, autour des routines, des jeux, des lectures, des explorations dans des environnements proches différents tels la classe, le gymnase, la bibliothèque, la classe de musique et la forêt de l’école (appellée ravine). Mais avant leur arrivée, une communication avec les parents se fait pour les connaître et connaître leur enfant. Nous recevons une fiche historique de chaque enfant où la langue familiale parlée est inscrite. La première rencontre avec les familles et les élèves en journée d’orientation permet de créer un lien avec les familles. La soirée d’information, 2 semaines après la rentrée, donne l’occasion à tous les parents de se présenter et donner leur origine culturelle. Ces contacts avec les familles permettent de les intégrer à la vie de la classe très vite. Leur participation active à l’intérieur des programmes de la Petite Section et de l’école ( l’exploration de la ravine, lecture de livres dans la langue familiale, participation aux évènements divers et culturels…) va engager les familles dans l’éducation de leur enfant et permettre un mariage de cultures.

plurilinguisme à l’école ?

Le plurilinguisme des élèves est-il pris en compte de la même façon suivant les contextes ? L’étude « Lire-écrire au CP, 2013-2014 » (Goigoux, Jarlégan, Piquée, 2015) met en évidence des disparités, et particulièrement la différence de perception des élèves plurilingues par les enseignants suivant que l’école se situe en milieu d’éducation prioritaire (EP) ou non. Véronique Miguel Addisu et Marie-Odile Maire Sandoz (2015, 68) en concluent ainsi :

« En EP, les élèves perçus comme plus fragiles sont donc plus souvent aussi connus comme plurilingues alors que hors EP, les élèves perçus comme les plus fragiles sont le plus souvent identifiés comme monolingues. » (« Apprendre à lire au CP dans une classe multilingue : le plurilinguisme des élèves comme ressource didactique ? », Repères, 52, 2015, p. 59-76)

Ça en dit long sur la hiérarchisation des langues notamment… Et en Amérique du Nord, quelles sont les perceptions au sujet du plurilinguisme des élèves ? Est-ce identique ? différent ? Pouvez-vous donner un exemple dans la classe où vous enseignez cette année ?