Marcelle Oppenheim, déportée politique morte pour la France, assassinée à Auschwitz en 1943

Entretien

L ‘enseignement de de la Shoah est au cœur d’une difficulté pédagogique. Pourtant, à l’heure où les derniers survivants disparaissent, il est capital de témoigner de ce que fut l’extermination de masse organisée par les nazis. Dans notre académie, et au niveau national, de nombreuses initiatives valorisent cet enseignement de la Shoah. Par exemple, le site Mémoires de déportés est désormais en ligne et sera à terme enrichi de témoignages.

En tant que professeur documentaliste, je constate qu’il est urgent de témoigner : les discours négationnistes et violemment antisémites prolifèrent sur la toile. Je ne peux que constater la permanence de discours de haine, à connotation raciste et antisémite et dénoncer ( signalement sur Pharos) à des associations ou sur un de mes blogs les publications ouvertement négationnistes, telles celles de Faurisson, de Vincent Reynouard, ou de leurs sinistres émules. Je pense que témoigner de ce que fut la Shoah est capital pour les générations à venir.

Nous vous proposons de découvrir l’histoire de la famille Strauss/Oppenheim. Marcelle Oppenheim a été assassinée à Auschwitz comme sa sœur. Madame Andrée S. témoigne pour sa famille. Des articles seront publiés ultérieurement sur le blog du CDI sur l’histoire de cette famille, de la propriété Champsfleur, sur le rôle de l’OSE, sur les enfants cachés pendant la guerre, les lois de Vichy, le camp de Drancy.

«- Est-ce que vous pensez que raconter l’histoire de votre famille, de votre grand-mère assassinée dans un centre de mise à mort, à Auschwitz, et témoigner de ce que le nazisme a fait vivre à votre famille, c’est de l’ordre de l’urgence ?

– Nous voyons réapparaître un peu partout dans le monde des gouvernements d’extrême droite. En France, puisque c’est ici que nous vivons, de plus en plus d’ antisémitisme, de racisme, de haine de l’autre. On dirait que nous n’avons rien appris, les faits qui ont amené la guerre se reproduisent. Voilà pourquoi j’ai pensé que mon tout petit témoignage pouvait être utile.

J’ai dit petit, non pas parce qu’il n’a pas d’importance, mais parce que je sais peu de chose, ma mère ne disait rien. En 1965 j’ai participé à un concours régional organisé par les professeurs du Lycée, il fallait écrire une « rédaction » sur la déportation. C’est sans doute la projection du documentaire « Nuits et Brouillard » : ce fut l’occasion de lui poser des questions. J’ai reçu un prix et le livre de l’auteure Olga Wormser Migot dédicacé « Quand les alliés ouvrirent les portes ». Nuits et Brouillard qui devrait être projeté dans tous les lycées et ouvrir sur une réflexion sur la haine de l’autre, et les gourous qui l’enseignent.

Ma mère, d’origine juive, fût arrêtée par le commissaire de police de Montmartre le 4 novembre 1942 à 7h30 à son domicile à Paris pour usurpation d’identité, elle avait des faux papiers. Elle a été remise aux mains des gendarmes allemands, notée « juive » sur les documents, ils l’ont conduite au service 31, avenue Foch surnommée « l’avenue boche » : affaires juives. Torturée ? Je ne sais pas. Quand elle racontait, elle parlait de ce qu’elle avait vu et non ce qu’elle avait subi. Elle a été internée à Pithiviers, le 9 mars 1943 à Beaune la Rolande puis le 20 juin à Drancy. Puis libérée le 18 août 1944, soit près d’un an an et demi après son arrestation.À Drancy matricule 17319, elle a fait partie d’une des équipes qui travaillaient dans les grands magasins Levitan où était trié tout ce que les allemands avaient volé, pour expédition en Allemagne (10 prisonniers par membres de l’équipe de travail se portaient garants, si l’un d’eux s’échappait , les 10 faisaient partie du prochain convoi vers les camps.) Le fait qu’elle soit mariée à un « aryen », selon le terme employé par les nazis pour désigner les non-Juifs, qu’elle soit baptisée (convertie au catholicisme bien avant la guerre) ont permis qu’elle ne soit pas déportée.

Mais votre grand-mère, elle, a été assassinée par les nazis à Auschwitz ?

– Oui, ce fut le sort de sa mère née à paris le 21 juillet 1877, arrêtée par la Gestapo et internée du 17 au 18 sept 1942 à Maisons-Laffite (elle était allée voir ses petits enfants (mon frère et ma sœur) confiés à des « nounous » depuis que les allemands avaient réquisitionné leur propriété de Champsfleur. Transférée à Drancy, matricule 16572, déportée le 31 juillet 1943, convoi 58 pour Auschwitz déclarée décédée le 18 août 1943 à Auschwitz Pologne. Elle a reçu le titre de déportée politique, morte pour la France à titre posthume le 13 janvier 1964.

Vous êtes née après la seconde guerre mondiale, mais vous avez un frère et une sœur qui ont dû vivre cachés une partie de la guerre, votre mère étant à Drancy. S’ils avaient été arrêtés, avec les lois raciales, ils auraient pu faire partie des convois vers les camps de la mort.

– Ils auraient pu être arrêtes, déportés, je ne crois pas ils étaient catholiques et baptisés.

Nous pouvons néanmoins penser que pour le régime de Vichy et les nazis, la conversion de Juifs au catholicisme ne protégeait pas nécessairement les enfants d’une déportation. Pouvez-vous nous raconter dans quelles circonstances ils ont échappé à une rafle ou à une arrestation ?

– Mon frère J.et ma sœur A. sont en nourrice avant la guerre au gré des activités et déplacements de mes parents. Ma sœur se souvient avoir dû quitter précipitamment la propriété, ils ont été confiés en urgence à des personnes y travaillant. Sans doute au moment où les allemands ont pris possession de Champs fleurs en 1940. Durant la guerre, ils ont été dans divers endroits puis jusqu’à la fin aux Aubrais, la gare de triage d’Orléans. Ils subissent les bombardements et les privations. Ma sœur se souvient d’avoir vu mon père quelques fois. Il a emmené ses enfants une fois voir notre mère à Drancy ou à Levitan, elle ne sait plus. De 1939 à 1945, J. avait de 6 à 12 ans, A. de 3 à 9 ans.

– En quelle année ces enfants ont-ils dû quitter leur famille ?

En 1940 ???

Combien de temps sont-ils restés cachés ?

– Jusque la fin de la guerre.

Par qui ont-ils été cachés ? Savez-vous si les personnes qui les ont cachés ont été reconnues  » Justes » parmi les nations ? Étaient-ils les seuls enfants juifs cachés dans ce lieu ?

– Je n’ai pas de réponse, ils étaient en nourrice, il ne me semble pas qu’il y ait eu d’autres enfants. les personnes n’ont pas été reconnues « justes » parmi les nations à ma connaissance. Je pense qu’il était préférable qu’ils soient cachés, bien que catholiques baptisés, ma grand-mère était déportée, ma mère était à Drancy, mon père subvenait à leurs besoins comme il pouvait. Il n’en a jamais parlé.

Quand vos frère et sœur ont-il pu retrouver leur famille ?

– Après la libération de Paris, ma sœur n’a pas de date précise, un jour mes parents sont venus les chercher, voilà.

– Vous ont-ils parlé de cet épisode de leur enfance ?

– Mon frère (décédé depuis ) jamais, ma sœur depuis que je l’interroge mais elle a peu de souvenirs de ses 4 ans elle était petite.

Regrettez-vous que vos parents n’aient pas abordé leur passé ? Comment expliquez-vous que nombre de survivants se soient tus ?

– Bien sûr que je le regrette : comment vivaient ils ? Où ?Dans tous les témoignages des déportés survivants, la même réaction: personne ne voulait savoir, lorsqu’ils parlaient on ne les croyait pas et pourtant , ce qu’ils disaient était loin de la réalité, de l’horreur de leur vécu. Donc ils se sont tus.

Il est d’autant plus important au moment ou certains discours renaissent et où les derniers témoins directs disparaissent de ne pas oublier cette période de notre histoire. Le Mémorial de la Shoah collecte des documents, des archives familiales. Ces archives constituent un témoignage important pour les générations futures. Envisagez-vous avec votre famille de communiquer des documents (photographies de famille, lettres, etc) à ce site/cette organisation ? Ce serait un moyen de lutter contre l’oubli ou contre des tentatives de falsification de l’Histoire…

– Je n’ai rien qui puisse les intéresser. »

Françoise Grave professeur documentaliste CDI du collège Claudel 59650 Villeneuve d’Ascq

Madame Michelle Simon, Petite-fille de Marcelle Oppenheim.

 

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