Maupassant écrit cette nouvelle fantastique au moment où
il commence à souffrir de paranoïa et de troubles de l’iden–
tité à cause de la syphilis. Le narrateur est persuadé d’être
possédé par un être invisible et relate dans son journal la
progression de son mal.
Donc je faisais semblant d’écrire, pour le tromper, car il
m’épiait lui aussi ; et soudain, je sentis, je fus certain qu’il
lisait par-dessus mon épaule, qu’il était là, frôlant mon oreille.
Je me dressai, les mains tendues, en me tournant si vite
que je faillis tomber. Eh bien ?… on y voyait comme en
plein jour, et je ne me vis pas dans ma glace ! Elle était vide,
claire, profonde, pleine de lumière ! Mon image n’était pas
dedans… et j’étais en face, moi ! Je voyais le grand verre
limpide du haut en bas. Et je regardais cela avec des yeux
affolés ; et je n’osais plus avancer, je n’osais plus faire un
mouvement, sentant bien pourtant qu’il était là, mais qu’il
m’échapperait encore, lui dont le corps imperceptible avait
dévoré mon reflet.
Comme j’eus peur ! Puis voilà que tout à coup je commençai à m’apercevoir dans une brume, au fond du miroir,
dans une brume comme à travers une nappe d’eau ; et il
me semblait que cette eau glissait de gauche à droite, len–
tement, rendant plus précise mon image, de seconde en
seconde. C’était comme la fin d’une éclipse. Ce qui me ca–
chait ne paraissait point posséder de contours nettement
arrêtés, mais une sorte de transparence opaque, s’éclaircis–
sant peu à peu.
Je pus enfin me distinguer complètement, ainsi que je
le fais chaque jour en me regardant.
Je l’avais vu ! L’épouvante m’en est restée, qui me fait
encore frissonner.
Guy DE MAUPASSANT, Le Horla, 1886.