Quelques citations sur la culture

 

Il faut que l’homme retrouve dans ce monde non seulement un domicile mais aussi un «chez soi», que son monde ait un ordre, une culture, un style. Qu’on y respecte avec sensibilité, même si ce doit être  au détriment de la productivité, le profil du paysage ; qu’on vénère la fantaisie mystérieuse de la nature, de ses couleurs, et la multitude des liens impénétrables qui la rendent homogène ; que les villes et les rues aient leur caractère particulier, leur atmosphère unique ; que la vie humaine ne se réduise pas à la production répétitive des biens et à leur consommation, mais que des possibilités multiples lui soient ouvertes ; que les gens cessent d’être un troupeau, une marchandise manipulable et uniformisée, consommateurs de culture télévisée. 
Vaclav Havel, Interrogatoires à distance, ed. de l’Aube, 1989

 

 

 

 

 

Le système politique de l’Occident
« Le système politique de l’Occident semble être une machine double, fondée sur la dialectique entre deux éléments hétérogènes et, en quelque manière, antithétiques : le droit et la violence pure. Tant que ces éléments restent séparés, leur dialectique peut fonctionner, mais quand l’état d’exception
devient la règle, alors le système politique se transforme en un appareil de mort. »

Giorgio Agamben

 

 

 

 

« On peut lire un texte (qui n’existe pas en « soi ») comme un témoignage dit sérieux ou authentique, comme une archive ou comme un document, comme un symptôme ou comme l’œuvre  d’une fiction littéraire qui stimule tous les statuts énumérés. »
Jacques Derrida, Droit de regard.

 

 

 

 

DIVERSITÉ DES CULTURES
La nécessité de préserver la diversité des cultures dans un monde menacé par la monotonie et l’uniformité n’a certes pas échappé aux institutions internationales. Elles comprennent aussi qu’il ne suffira pas, pour atteindre ce but, de choyer des traditions locales et d’accorder un répit aux temps révolus. C’est le fait de la diversité qui doit être sauvé, non le contenu historique que chaque époque lui a donné et qu’aucune ne saurait perpétuer au-delà d’elle-même. Il faut donc écouter le blé qui lève, encourager les potentialités secrètes, éveiller toutes les vocations à vivre ensemble que l’histoire tient en réserve; il faut aussi être prêt à envisager sans surprise, sans répugnance et sans révolte ce que toutes ces nouvelles formes sociales d’expression ne pourront manquer d’offrir d’inusité. La tolérance n’est pas une position contemplative, dispensant les indulgences à ce qui fut ou à ce qui est. C’est une attitude dynamique, qui consiste à prévoir, à comprendre et à promouvoir ce qui veut être. La diversité des cultures humaines est derrière nous, autour de nous et devant nous. La seule exigence que nous puissions faire valoir à son endroit (créatrice pour chaque individu des devoirs correspondants) est qu’elle se réalise sous des formes dont chacune soit une contribution à la plus grande générosité des autres. 

 

Claude Lévi-Strauss, Le double sens du progrès, in Race et histoire, éditions Gonthier, UNESCO, 1961.

Ce qui se prépare à un rythme incalculable et très rapide, c’est un nouvel homme bien sûr, un nouveau corps de l’homme, un nouveau rapport du corps de l’homme aux machines. On aperçoit déjà cette transformation. Quand je parle des machines, je pense aussi bien aux machines à signes qu’aux machines de mouvement, de déplacement. C’est même la station debout qui se trouve changée, ledit « homme » est en train de traverser une zone de grande turbulence. Là encore, je n’ai pas de réponse unilatérale. Tous les éléments de cette mutation en cours me font peur et en même temps me paraissent devoir être salués et affirmés. Ce que je dois faire dans ces cas-là, c’est avouer, déclarer, rendre manifeste de la façon la plus formalisée possible, cette contradiction de mon désir. Je suis attachés aux formes existantes ou héritées de la condition humaine, du corps de l’homme, de ce qui lui est proche, de son rapport au politique, aux signes, aux livres, au vivant, et en même temps je ne veux pas dire non à tout ce qui vient de l’avenir. Qu’il s’agisse du vivant, des prothèses, des greffes, du génome, de toute l’aventure technologique de communication, des médias qui transforment profondément l’espace public et privé. Jacques Derrida, Sur Parole, ed de l’Aube, 1999

 Nous, les gens réputés cultivés,savants artistes, philosophes, clairvoyants et informés, il nous faut nous rendre compte que l’immense majorité de la société vit dans une misère symbolique faite d’humiliation et d’offense. Bernard Stiegler, De la misère symbolique, ed. Galilée  

On peut lire un texte (qui n’existe pas en « soi ») comme un témoignage dit sérieux ou authentique, comme une archive ou comme un document, comme un symptôme ou comme l’œuvre  d’une fiction littéraire qui stimule tous les statuts énumérés. Jacques Derrida, Droit de regard.

 

Formellement (…), la propriété dépend essentiellement d’un certain morcellement des choses : s’approprier, c’est fragmenter le monde, le diviser en objets finis, assujettis à l’homme, à proportion même de leur discontinu : car on ne peut séparer sans finalement nommer et classer, et dès lors, la propriété est née.  

Roland Barthes, « L’Aventure sémiologique », 1985, Seuil, ed.

 

Dès qu’il y a société, tout usage est converti en signe de cet usage. (…) Cette sémantisation universelle des usages est capitale : elle traduit le fait qu’il n’y a du réel qu’intelligible    Roland  Barthes, « Système de la mode », 1967, Seuil, ed.

 

LOGOSPHERE
Tout ce que nous lisons et entendons, nous recouvre comme une nappe, nous entoure et nous enveloppe comme un milieu : c’est la logosphère. Cette logosphère nous est donnée par notre époque, notre classe, notre métier : c’est une « donnée » de notre sujet. Or , déplacer ce qui est donné ne peut être que le fait d’une secousse ; il nous faut  ébranler la masse équilibrée des paroles, déchirer la nappe, déranger l’ordre lié des phrases, briser les structures du langage (toute structure est un édifice de niveaux).
Roland Barthes, Bruissement de la Langue, p244,  in « Brecht et le discours », 1975

 

DISCOURS POLITIQUE ET ORIGINE RELIGIEUSE
Combien il serait passionnant, pourtant (et peut-être utile) de pouvoir lire la politique dans l’épaisseur de son texte. Derrière la rationalité des grands systèmes occidentaux, tel le marxisme, peuvent se tenir des logiques, des tours, des protections, des astuces qui appartiennent à tout un autre univers. Sous le discours de l’homme politique, toujours rétablir l’origine religieuse .
Roland Barthes, Chroniques  du Nouvel Observateur, du 29/1/79

 

 

« Fantaisie mystérieuse de la nature »

Il faut que l’homme retrouve dans ce monde non seulement un domicile mais aussi un «chez soi», que son monde ait un ordre, une culture, un style. Qu’on y respecte avec sensibilité, même si ce doit être  au détriment de la productivité, le profil du paysage ; qu’on vénère la fantaisie mystérieuse de la nature, de ses couleurs, et la multitude des liens impénétrables qui la rendent homogène ; que les villes et les rues aient leur caractère particulier, leur atmosphère unique ; que la vie humaine ne se réduise pas à la production répétitive des biens et à leur consommation, mais que des possibilités multiples lui soient ouvertes ; que les gens cessent d’être un troupeau, une marchandise manipulable et uniformisée, consommateurs de culture télévisée. 
Vaclav Havel, Interrogatoires à distance, ed. de l’Aube, 1989

 

Nos sociétés ne tiennent-elles pas debout grâce à des «valeurs» (civisme, conscience professionnelle minimale, respect des interdits fondateurs, etc.) qui ne survivent elles-mêmes qu’en mobilisant je ne sais quel «sacré» résiduel ou dégradé ? Nous ne serions plus enté que sur des «lambeaux» d’humanité perdue, nos vies collectives ne reposeraient plus que sur des «reliquats»  spirituels, des gisements en voie d’épuisement et que, en tout cas, rien ne renouvelle plus.
Maurice Bellet, La seconde humanité. De l’impasse majeure de ce que nous appelons l’économie, Desclée de Brouwer, 1994

L’intellectuel A mes yeux, l’intellectuel n’a pas à faire valoir son discours sur celui des autres. Il essaie plutôt de donner place au discours des autres. Cela ne veut pas dire qu’il doive se taire, car on tomberait dans le masochisme… Son rôle est d’ouvrir des possibilités de discours, et de mêler le sien aux autres, d’entrelacer son discours avec celui des autres, comme un support. 

L’intellectuel n’a plus non plus de fonction prophétique. Au lieu de se demander : « Qu’est-ce que ça va être ? », « Vers quoi faut-il aller ? », on essaie plutôt de poser des questions au présent : « Que se passe-t-il ? », « Qui sommes-nous ? ». Au lieu de donner un coup de sifflet et de mettre tout le monde en rang pour proclamer « Voilà l’objectif ! », mieux vaut chercher à comprendre ce qui se passe actuellement, ce que nous faisons, quels sont les rapports de pouvoir qui passent à travers nous sans que nous le sachions, quel est donc l’événement que nous constituons, ou bien dont nous sommes les dupes ; et mieux vaut encore se demander : « Qui sommes-nous en train de duper ? », « Où sont les pièges ? », etc. Pour moi, ce qui constitue aujourd’hui les intellectuels, c’est cette inquiétude de l’actualité. Nous sommes plutôt journalistes que prophètes, mais journalistes de nous-mêmes. Voilà les fonctions qu’on a essayé de dégager.

Michel Foucault Entretien avec Roger- Pol Droit, juin 1975