Michel Foucault Surveiller et punir (citations)

Michel Foucault en citations Surveiller et punir

  1. La prison ne peut pas manquer de fabriquer des délinquants. Elle en fabrique par le type d’existence qu’elle fait mener aux détenus : qu’on les isole dans les cellules, ou qu’on leur impose un travail inutile, pour lequel ils ne trouveront pas d’emploi, c’est de toute façon ne pas « songer à l’homme en société ; c’est créer une existence contre nature inutile et dangereuse » ; on veut que la prison éduque des détenus, mais un système d’éducation qui s’adresse à l’homme peut-il raisonnablement avoir pour objet d’agir contre le vœu de la nature ? La prison fabrique aussi des délinquants en imposant aux détenus des contraintes violentes ; elle est destinée à appliquer les lois, et à en enseigner le respect ; or tout son fonctionnement se déroule sur le mode de l’abus de pouvoir. Arbitraire de l’administration […] Corruption, peur et incapacité des gardiens […] Exploitation par un travail pénal, qui ne peut avoir dans ces conditions aucun caractère éducatif.
  1. S’il y a un enjeu politique d’ensemble autour de la prison, ce n’est … pas de savoir si elle sera correctrice ou pas; si les juges, les psychiatres ou les sociologues y exerceront plus de pouvoir que les administrateurs et les surveillants… Le problème actuellement est plutôt dans la grande montée de ces dispositifs de normalisation et toute l’étendue des effets de pouvoir qu’ils portent, à travers la mise en place d’objectivités nouvelles.
    (313)
  1. De là, l’effet majeur du Panoptique : induire chez le détenu un état conscient et permanent de visibilité qui assure le fonctionnement automatique du pouvoir. Faire que la surveillance soit permanente dans ses effets, même si elle est discontinue dans son action ; que la perfection du pouvoir tende à rendre inutile l’actualité de son exercice ; que cet appareil architectural soit une machine à créer et à soutenir un rapport de pouvoir indépendant de celui qui l’exerce ; bref que les détenus soient pris dans une situation de pouvoir dont ils sont eux-mêmes les porteurs. Pour cela, c’est à la fois trop et trop peu que le prisonnier soit sans cesse observé par un surveillant : trop peu, car l’essentiel c’est qu’il se sache surveillé ; trop, parce qu’il n’a pas besoin de l’être effectivement. Pour cela Bentham a posé le principe que le pouvoir devait être visible et invérifiable. Visible : sans cesse le détenu aura devant les yeux la haute silhouette de la tour centrale d’où il est épié. Invérifiable : le détenu ne doit jamais savoir s’il est actuellement regardé ; mais il doit être sûr qu’il peut toujours l’être.
  1. Sous le nom de crimes et de délits,on juge bien toujours des objets juridiques définis par le Code,mais on juge en même temps des passions,des instincts,des anomalies,des infirmités,des inadaptations,des effets de milieu ou d’hérédité ; on punit des agressions,mais à travers elles des agressivités ; des viols,mais en même temps des perversions : des meurtres qui sont aussi des pulsions et des désirs.
  1. Dans un système de discipline, l’enfant est plus individualisé que l’adulte, le malade l’est avant l’homme sain, le fou et le délinquant plutôt que le normal et le non-délinquant. C’est vers les premiers en tout cas que sont tournés dans notre civilisation tous les mécanismes individualisants ; et lorsqu’on veut individualiser l’adulte sain, normal et légaliste, c’est toujours désormais en lui demandant ce qu’il y a encore en lui d’enfant, de quelle folie secrète il est habité, quel crime fondamental il a voulu commettre.
  2. Il est laid d’être punissable, mais peu glorieux de punir.
  1. [L]a prison apparaissait, d’une façon générale, comme marquée par les abus du pouvoir. Et beaucoup de cahiers de doléances la rejettent comme incompatible avec une bonne justice. Tantôt au nom de principes juridiques classiques : « Les prisons, dans l’intention de la loi, étant destinées non pas à punir mais à s’assurer de leurs personnes… » Tantôt au nom des effets de la prison qui punit ceux qui ne sont pas encore condamnés, qui communique et généralise le mal qu’elle devrait prévenir et qui va contre le principe de l’individualité des peines en sanctionnant toute une famille ; on dit que « la prison n’est pas une peine. L’humanité se soulève contre cette affreuse pensée que ce n’est pas une punition de priver un citoyen du plus précieux des biens, de le plonger ignominieusement dans le séjour du crime, de l’arracher à tout ce qu’il a de cher, de le précipiter peut-être dans la ruine et d’enlever non seulement à lui mais à sa malheureuse famille tous les moyens de subsistance ».
  2. La prison : une caserne un peu stricte, une école sans indulgence, un sombre atelier, mais, à la limite, rien de qualitativement différent.
  3. Il faut constater que le pouvoir produit du savoir ; que pouvoir et savoir s’impliquent directement l’un l’autre ; qu’il n’y a pas de relations de pouvoir sans constitution corrélative d’un champ de savoir, ni de savoir qui ne suppose et ne constitue en même temps des relations de pouvoir.
  4. Devant la justice du souverain, toutes les voix doivent se taire.
  5. Il se peut que la guerre comme stratégie soit la continuation de la politique. Mais il ne faut pas oublier que la « politique » a été conçue comme la continuation sinon exactement et directement de la guerre, du moins du modèle militaire comme moyen fondamental pour prévenir le trouble civil. La politique, comme technique de la paix et de l’ordre intérieurs, a cherché à mettre en œuvre le dispositif de l’armée parfaite, de la masse disciplinée, de la troupe docile et utile, du régiment au camp et aux champs, à la manœuvre et à l’exercice.
  6. La surveillance policière fournit à la prison les infracteurs que celle-ci transforme en délinquants, cibles et auxiliaires des contrôles policiers qui renvoient régulièrement certains d’entre eux à la prison.
  7. La punition tendra donc à devenir la part la plus cachée du processus pénal. Ce qui entraîne plusieurs conséquences : elle quitte le domaine de la perception quasi quotidienne, pour passer dans celui de la conscience abstraite ; son efficacité, on la demande à sa fatalité, non à son intensité visible ; la certitude d’être puni, c’est cela, et non plus l’abominable théâtre, qui doit détourner du crime ; la mécanique exemplaire de la punition change ses rouages.
  8. L’enfant, le malade, le fou, le condamné deviendront, de plus en plus facilement à partir du XVIIIe siècle et selon une pente qui est celle des mécanismes de discipline, l’objet de descriptions individuelles et de récits biographiques. Cette mise en écriture des existences réelles n’est plus une procédure d’héroïsation; elle fonctionne comme procédure d’objectivation et d’assujettissement.
  9. Une chose est claire : la prison n’a pas été d’abord une privation de liberté à laquelle on aurait donné par la suite une fonction technique de correction ; elle a été dès le départ une « détention légale » de modification des individus que la privation de liberté permet de faire fonctionner dans le système légal.
  10. La pénalité perpétuelle qui traverse tous les points, et contrôle tous les instants des institutions disciplinaires compare, différencie, hiérarchise, homogénéise, exclut. En un mot elle normalise.
  11. A mesure que l’appareil de production devient plus important et plus complexe, à mesure qu’augmentent le nombre des ouvriers et la division du travail, les tâches de contrôle se font plus nécessaires et plus difficiles. Surveiller devient alors une fonction définie, mais qui doit faire partie intégrante du processus de production ; elle doit le doubler sur toute sa longueur. Un personnel spécialisé devient indispensable, constamment présent, et distinct des ouvriers […].
  12. Cette « évidence » de la prison dont nous nous détachons si mal se fonde d’abord sur la forme simple de la « privation de liberté ». Comment la prison ne serait-elle pas la peine par excellence dans une société où la liberté est un bien qui appartient à tous de la même façon et auquel chacun est attaché par un sentiment « universel et constant » ? Sa perte a donc le même prix pour tous ; mieux que l’amende elle est le châtiment « égalitaire ».
  13. Il est laid d’être punissable, mais peu glorieux de punir. De là ce double système de protection que la justice a établi entre elle et le châtiment qu’elle impose. L’exécution de la peine tend à devenir un secteur autonome, dont un mécanisme administratif décharge la justice; celle-ci s’affranchit de ce sourd malaise par un enfouissement bureaucratique de la peine.
  14. Dans le bon emploi du corps qui permet un bon emploi du temps, rien ne doit rester oisif ou mutilé : tout doit être appelé à former le support de l’acte requis. Un corps bien discipliné forme le contexte opératoire du moindre geste.
  15. Alors que la taxinomie naturelle se situe sur l’axe qui va du caractère à la catégorie, la tactique disciplinaire se situe sur l’axe qui lie le singulier et le multiple. Elle permet à la fois la caractérisation de l’individu comme l’individu, et la mise en ordre d’une multiplicité donnée. Elle est la condition première pour le contrôle et l’usage d’un ensemble d’éléments distincts : la base pour une microphysique d’un pouvoir qu’on pourrait appeler « cellulaire »
  16. Pas de risque par conséquent que l’accroissement de pouvoir dû à la machine panoptique puisse dégénérer en tyrannie ; le dispositif disciplinaire sera démocratiquement contrôlé, puisqu’il sera sans cesse accessible « au grand comité du tribunal du monde ». Ce panoptique, subtilement arrangé pour qu’un surveillant puisse observer, d’un coup d’œil, tant d’individus différents permet aussi à tout le monde de venir surveiller le moindre surveillant. La machine à voir était une sorte de chambre noire où épier les individus ; elle devient un édifice transparent où l’exercice du pouvoir est contrôlable par la société entière.
  17. Le schéma panoptique, sans s’effacer ni perdre aucune de ses propriétés, est destiné à se diffuser dans le corps social ; il a pour vocation d’y devenir une fonction généralisée.
  18. Le supplice repose sur tout un art quantitatif de la souffrance. Mais il y a plus : cette production est réglée. Le supplice met en corrélation le type d’atteinte corporelle, la qualité, l’intensité, la longueur des souffrances avec la gravité du crime, la personne du criminel, le rang de ses victimes.
  19. L’appareil disciplinaire parfait permettrait à un seul regard de tout voir en permanence. Un point central serait à la fois source de lumière éclairant toutes choses, et lieu de convergence pour tout ce qui doit être su : oeil parfait auquel rien n’échappe et centre vers lequel tous les regards sont tournés.
  20. L’exercice de la discipline suppose un dispositif qui contraigne par le jeu du regard ; un appareil où les techniques qui permettent de voir induisent des effets de pouvoir, et où, en retour, les moyens de coercition rendent clairement visibles ceux sur qui ils s’appliquent.
  21. Il faut concevoir le supplice, tel qu’il est virtualisé encore au XVIIIe siècle, comme un opérateur politique. Il s’inscrit logiquement dans un système punitif où le souverain, de manière directe ou indirecte, demande, décide, et fait exécuter les châtiments dans la mesure où c’est lui qui, à travers la loi, a été atteint par le crime.
  22. La discipline n’est plus simplement un art de répartir les corps, d’en extraire et d’en cumuler du temps, mais de composer des forces pour obtenir un appareil efficace.
  23. L’économie des illégalismes s’est restructurée avec le développement de la société capitaliste. L’illégalisme des biens a été séparé de celui des droits. Partage qui recouvre une opposition de classes, puisque, d’un côté, l’illégalisme qui sera le plus accessible aux classes populaires sera celui des biens – transfert violent des propriétés ; que d’un autre la bourgeoisie se réservera, elle, l’illégalisme des droits : la possibilité de tourner ses propres règlements et ses propres lois.
  24. Le pouvoir disciplinaire en effet est un pouvoir qui, au lieu de soutirer et de prélever, a pour fonction majeure de « dresser » ; ou sans doute, de dresser pour mieux prélever et soutirer davantage.
  1. La punition a cessé peu à peu d’être une scène. Et tout ce qu’elle pouvait emporter de spectacle se trouvera désormais affecté d’un indice négatif; comme si les fonctions de la cérémonie pénale cessaient, progressivement, d’être comprises, on soupçonne ce rite qui « concluait » le crime d’entretenir avec lui de louches parentés: de l’égaler, sinon de le dépasser en sauvagerie, d’accoutumer les spectateurs à une férocité dont on voulait les détourner, de leur montrer la fréquence des crimes, de faire ressembler le bourreau à un criminel, les juges à des meurtriers, d’inverser au dernier moment les rôles, de faire du supplicié un objet de pitié ou d’admiration.