Texte 6 Locke. Texte 7 Kant (cours sur la famille)

Chapitre VI Du pouvoir paternel, Traité du gouvernement civil, Locke
63. La liberté de l’homme, par laquelle il peut agir comme il lui plait, est donc
fondée sur l’usage de la raison, qui est capable de lui faire bien connaître ces lois,
suivant lesquelles il doit se conduire, et l’étendue précise de la liberté que ces lois
laissent à sa volonté. Mais le laisser dans une liberté entière, avant qu’il puisse se
conduire par la raison, ce n’est pas le laisser jouir du privilège de la nature, c’est le
mettre dans le rang des brutes, et l’abandonner même à un état pire que le leur, à un
état beaucoup au-dessous de celui des bêtes. Or, c’est par cette raison que les pères et

les mères acquièrent cette autorité avec laquelle ils gouvernent la minorité de leurs
enfants. Dieu les a chargés du soin de ceux à qui ils ont donné la naissance, et a mis
dans leur cœur une grande tendresse pour tempérer leur pouvoir, et les engager à ne
s’en servir que par rapport à ce à quoi sa sagesse l’a destiné, c’est-à-dire, au bien et à
l’avantage de leurs enfants, pendant qu’ils ont besoin de leur conduite et de leur
secours.
64. Mais quelle raison peut changer ce soin, que les pères et les mères sont
obligés de prendre de leurs enfants, en une domination absolue et arbitraire du père,
dont certainement le pouvoir ne s’étend pas plus loin, qu’à user des moyens les plus
efficaces et les plus propres, pour rendre leurs corps vigoureux et sains, et leurs
esprits forts et droits, en sorte qu’ils puissent être un jour par là plus utiles, et à eux-
mêmes et aux autres; et si la condition de leur famille le requiert, travailler de leurs
mains pour pourvoir à leur propre subsistance. Mais la mère a aussi bien sa part que
le père à ce pouvoir.
Lire la suite du chapitre VI ici

Kant, Doctrine du droit, trad. A. Renaud, GF-Flammarion, 1994,

Premie?re partie : Le droit prive?
Chap. III : Du droit personnel d’espe?ce re?elle

§ 22
Ce droit est celui de posse?der un objet exte?rieur comme une chose et d’en user comme une personne. [ …]

§ 23

(277) L’acquisition qui correspond a? cette loi est, selon l’objet, de trois sortes : l’homme acquiert une femme, le couple acquiert des enfants et la famille des domestiques. Tout est ainsi acquis et en me?me temps inalie?nable, et le droit du possesseeur de ces objets est le plus personnel de tous les droits.

Du droit de la socie?te? domestique Titre 1er : Le droit conjugal

§ 24

(277) La communaute? sexuelle (commercium sexuale) est l’utilisation re?ciproque qu’un e?tre humain fait des organes et faculte?s sexuels d’un autre e?tre humain (usus membrorum et facultatum sexualium alterius), et il s’agit d’une utilisation soit naturelle (celle par laquelle on peut procre?er son semblable), soit contre nature, et cette dernie?re utilisation peut intervenir soit avec une personne du me?me sexe, soit avec un animal d’une autre espe?ce que celle de l’homme : ces transgressions des lois, ces vices contre nature (crimina carnis contra naturam), que l’on de?signe aussi comme innommables, ne sauraient, en tant qu’ils portent atteinte a? l’humanite? en notre personne, e?tre sauve?s d’une re?probation totale par aucune restriction ni exception.

La communaute? sexuelle naturelle est ou bien celle qui est conforme a? la simple nature animale (vaga libido, venus vulgivaga, fornicatio), ou bien celle qui est conforme a? la loi. Le dernier cas correspond au mariage (matrimonium), c’est-a?-dire a? la liaison de deux personnes de sexe diffe?rent en vue de la possession re?ciproque, pour toute la dure?e de la vie, de leurs qualite?s sexuelles propres. La fin, qui consiste ici a? engendrer et a? e?duquer des enfants, peut assure?ment e?tre une fin de la nature, pour laquelle celle-ci aurait implante? en chacun des deux sexes le penchant pour l’autre : reste qu’il n’est pas requis que l’e?tre humain qui se marie doive ne?cessairement se proposer cette fin pour que sa liaison en soit le?gitime?e ; car sinon, quand cesse la procre?ation des enfants, le mariage se dissoudrait en me?me temps de lui-me?me.

Quand bien me?me l’on prend en compte le plaisir lie? a? l’utilisation re?ciproque des qualite?s sexuelles, le contrat de mariage n’est pas, il faut le pre?ciser, un contrat laisse? au bon plaisir des sujets, (278) c’est un contrat rendu ne?cessaire par la loi de l’humanite? ; autrement dit, si l’homme et la femme veulent jouir re?ciproquement l’un de l’autre conforme?ment a? leurs qualite?s sexuelles, il leur faut ne?cessairement se marier et c’est la? un acte que rendent ne?cessaire les lois juridiques de la raison pure.

§ 25

En effet, l’usage naturel qu’un sexe fait des organes sexuels de l’autre est une jouissance pour laquelle chacune des parties se donne a? l’autre. Dans cet acte, un e?tre humain fait de lui-me?me une chose, ce qui entre en contradiction avec le droit de l’humanite? dans sa propre personne. Cela n’est possible qu’a? l’unique

condition que, quand une personne est acquise par l’autre comme chose, elle fasse en retour l’acquisition re?ciproque de cette dernie?re ; car ainsi elle se reconquiert elle-me?me et re?tablit sa dimension de personne. Mais l’acquisition d’un e?le?ment de l’e?tre humain est en me?me temps acquisition de la personne tout entie?re, dans la mesure ou? celle-ci est unite? absolue ; par conse?quent, il ne suffit pas de dire que l’abandon et l’acceptation d’un sexe pour la jouissance de l’autre sont admissibles1 sous la condition du mariage, mais il faut ajouter qu’ils ne sont possibles que sous cette condition. Cela dit, que ce droit personnel soit pourtant en me?me temps d’espe?ce re?elle se fonde sur ceci que, si l’un des e?poux s’est enfui ou s’est abandonne? a? la possession de quelqu’un d’autre, l’autre e?poux a toujours et de manie?re irre?futable le droit de le ramener en sa puissance, comme s’il s’agissait d’une chose.

§ 26

Pour les me?mes raisons, le rapport entre les e?poux est un rapport d’e?galite? dans la possession, cela aussi bien pour les personnes qui se posse?dent l’une l’autre re?ciproquement (ce qui ne peut intervenir par conse?quent qu’en re?gime de monogamie, car dans une polygamie la personne qui se donne n’acquiert qu’une partie de celle a? laquelle elle s’abandonne toute entie?re, et elle fait ainsi d’elle-me?me une simple chose) que pour leurs biens, quoique les sujets aient la possibilite? de renoncer (mais simplement par un contrat particulier) a? une partie de l’usage de ces biens.

Remarque: Que le concubinage ne soit susceptible d’aucun contrat ayant une consistance juridique, pas plus que l’engagement d’une personne pour la jouissance passage?re qu’elle peut procurer (pactum fornicationis), cela re?sulte de la me?me raison mentionne?e ci-dessus. Car, (279) en ce qui concerne le dernier contrat, chacun accordera que la personne qui l’a conclu ne pourrait e?tre tenue juridiquement au remplissement2 de sa promesse si elle s’en repentait ; et c’est aussi ainsi que perd tout son sens le premier concept, celui de concubinage (en tant que pactum turpe), parce que ce serait un contrat d’engagement (locatio-conductio) – plus pre?cise?ment : l’engagement d’une dimension3 de quelqu’un pour l’usage qu’en ferait une autre – et que par conse?quent, en raison de ce qu’a d’indissoluble l’unite? des dimensions constitutives4 d’une personne, celle-ci se donnerait tout entie?re a? l’arbitre de l’autre, comme si elle e?tait une chose ; il en re?sulte que chaque partie peut annuler5 le contrat engage? avec l’autre, de?s qu’il lui plai?t, sans que l’autre puisse e?lever, sur la manie?re dont son droit aurait e?te? le?se?, la moindre plainte qui soit fonde?e. Il en va exactement de la me?me fac?on a? propos du mariage « de la main gauche », qui vise a? permettre d’utiliser l’ine?galite? de condition des deux parties pour que l’une d’entre elles renforce sa domination sur l’autre ; car, en fait, d’apre?s le simple droit naturel, cette pratique n’est pas diffe?rente du concubinage et ne constitue nullement un vrai mariage. Quant a? la question de savoir s’il y a contradiction en ce qui concerne l’e?galite? des e?poux comme tels quand la loi dit de l’homme, a? propos de son rapport avec la femme : « il sera ton mai?tre » (il sera celui qui commande, elle sera la partie qui obe?it), cette loi ne peut e?tre conside?re?e comme contredisant l’e?galite? naturelle d’un couple humain a? partir du moment ou? le fondement de cette domination est uniquement la supe?riorite? naturelle de la capacite? de l’homme sur celle de la femme dans la mise en œuvre de l’inte?re?t commun de la famille et du droit a? commander qui s’y enracine, lequel droit peut par conse?quent lui-me?me e?tre de?rive? du devoir de l’unite? et de l’e?galite? au point de vue de la fin.

  1. 1  Zula?ssig – E.M.
  2. 2  Erfu?llung se traduirait peut-e?tre mieux par « satisfaction », « accomplissement » que par le ne?ologismedisgracieux « remplissement » – E.M.
  3. 3  Gliedmaße, que Renaut traduisait pourtant, dans le § 25, par « e?le?ment », et non par « dimension ». Je necomprends pas cette variation dans la traduction du me?me terme – E.M.
  4. 4  Glieder.
  5. 5  Aufheben = abroger, mettre fin, rompre – E.M.