Les lumières

 

Voilà comment le luxe, la dissolution et l’esclavage ont été de tout temps le
châtiment des efforts orgueilleux que nous avons faits pour sortir de l’heureuse
ignorance où la sagesse éternelle nous avait placés. Le voile épais dont elle a couvert
toutes ses opérations semblait nous avertir assez qu’elle ne nous a point destinés à de
vaines recherches. Mais est-il quelqu’une de ses leçons dont nous ayons sû profiter,
ou que nous ayons négligée impunément ? Peuples, sachez donc une fois que la
nature a voulu vous préserver de la science, comme une mère arrache une arme
dangereuse des mains de son enfant : que tous les secrets qu’elle vous cache sont
autant de maux dont elle vous garantit, et que la peine que vous trouvez à vous
instruire n’est pas le moindre de ses bienfaits. Les hommes sont pervers ; ils seraient
pires encore, s’ils avaient eu le malheur de naître savants.

Jean-Jacques Rousseau, Discours sur les sciences et les arts.1750

Sire, si vous voulez des prêtres, vous ne voulez point de philosophes, et si
vous voulez des philosophes, vous ne voulez point de prêtres ; car les uns étant
par état les amis de la raison et les promoteurs de la science, et les autres les
ennemis de la raison et les fauteurs de l’ignorance, si les premiers font le bien, les
seconds font le mal ; et vous ne voulez pas en même temps le bien et le mal.
Vous avez, me dites-vous, des philosophes et des prêtres : des philosophes qui
sont pauvres et peu redoutables, des prêtres très riches et très dangereux. Vous
ne vous souciez pas trop d’enrichir vos philosophes, parce que la richesse nuit à
la philosophie, mais votre dessein serait de les garder ; et vous désireriez fort
d’appauvrir vos prêtres et de vous en débarrasser. Vous vous en débarrasserez
sûrement et avec eux de tous mensonges dont ils infectent votre nation, en les
appauvrissant ; car appauvris, bientôt ils seront avilis, et qui est-ce qui voudra
entrer dans un état où il n’y aura ni honneur à acquérir ni fortune à faire ?

Denis Diderot, Discours d’un philosophe à un roi, 1774.

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