Une statue à l’odeur de rose

Nous ne saurions nous rappeler l’ignorance, dans laquelle nous sommes nés?: c’est un état qui ne laisse point de traces après lui. Nous ne nous souvenons d’avoir ignoré, que ce que nous nous souvenons d’avoir appris?; et pour remarquer ce que nous apprenons, il faut déjà savoir quelque chose?: il faut s’être senti avec quelques idées, pour observer qu’on se sent avec des idées qu’on n’avait pas. Cette mémoire réfléchie, qui nous rend aujourd’hui si sensible le passage d’une connaissance à une autre, ne saurait donc remonter jusqu’aux premières?: elle les suppose au contraire, et c’est là l’origine de ce penchant que nous avons à les croire nées avec nous. Dire que nous avons appris à voir, à entendre, à goûter, à sentir, à toucher, paraît le paradoxe le plus étrange. Il semble que la nature nous a donné l’entier usage de nos sens, à l’instant même qu’elle les a formés?; et que nous nous en sommes toujours servis sans étude, parce qu’aujourd’hui nous ne sommes plus obligés de les étudier.

(Mademoiselle Ferrand) sentit la nécessité de considérer séparément nos sens, de distinguer avec précision les idées que nous devons à chacun d’eux, et d’observer avec quels progrès ils s’instruisent, et comment ils se prêtent des secours mutuels.

Pour remplir cet objet, nous imaginâmes une statue organisée intérieurement comme nous, et animée d’un esprit privé de toute espèce d’idées. Nous supposâmes encore que l’extérieur tout de marbre ne lui permettait l’usage d’aucun de ses sens, et nous nous réservâmes la liberté de les ouvrir à notre choix aux différentes impressions dont ils sont susceptibles.