L’Italienne à Alger

Allons à l’Opéra vendredi 31 janvier à 20 heures !

Opéra-bouffe en deux actes de Gioacchino Rossini
Livret d’Angelo Anelli

Direction musicale : Roberto Rizzi-Brignoli
Direction des Chœur : Aurore Marchand
Etudes musicales / continuo : Mathieu Pordoy

Mise en scène / costumes : Nicola Berloffa
Assistant à la mise en scène : Fabio Cherstich
Décors : Rifail Ajdarpasic
Lumières : Luca Antolini

Isabella : Silvia Tro Santafe
Elvira : Clémence Tilquin
Zulma : Amaya Dominguez

Lindoro : Julien Dran
Mustafa : Donato di Stefano
Taddeo : Armando Noguera
Haly : Giulio Mastrototaro

Orchestre Régional Avignon-Provence
Chœur de l’Opéra Grand Avignon

Une des plus exquises réussites d’un Rossini seulement âgé de 21 ans à la création de l’ouvrage : un opéra-bouffe qui a gardé tout son charme et sa drôlerie, avec une musique fraîche comme l’œil et des personnages qui semblent nés d’hier. Un ouvrage empreint de cette folie que sait insuffler Rossini : le dérèglement soudain de la machine qu’il a lui-même fabriquée.
L’Italienne à Alger a été commandée en toute hâte à Rossini, en 1813, pour sauver la saison mal engagée du Teatro San Benedetto de Venise. Comme le compositeur ne disposait que d’un délai de vingt-sept jours pour écrire son nouvel opéra, on utilisa un livret d’Angelo Anelli qui avait déjà été mis en musique par Luigi Mosca pour Milan, cinq ans plus tôt. Rossini le modifia quelque peu, supprimant en particulier tous les passages trop sentimentaux qui ne correspondaient pas à son idée de la farce. Mais la principale transformation consista surtout à ajouter au premier finale, au quintette et au trio du second acte les fameux « pappataci », des onomatopées. La musique s’affranchit alors de la contrainte des mots et du sens et devient, selon l’expression de Stendhal, « une folie organisée ».

La belle Isabella s’embarque pour Alger à la recherche de son amant Lindoro, prisonnier du tyran Mustafà. Mais le bateau s’échoue et l’aventure commence. Il y a des corsaires, un sérail, des eunuques, un palais sur la mer, tout le merveilleux bazar des turqueries encore à la mode en ce début de XIXème siècle. Il y a aussi du beau chant, brillant et virtuose, comme Rossini en avait le secret. Et il y a surtout cette folie qui imprègne son art, comme cet insensé finale du premier acte, grand ensemble dégénérant en un délirant concert d’onomatopées, accentuant l’exubérance rythmique et amenant la déformation comique de la parole à un degré d’élaboration jamais entendu auparavant.
L’Italienne à Alger renvoie à l’orientalisme, en vogue dans les arts de l’époque, qui avait déjà donné naissance au Bourgeois gentilhomme de Molière, à Zadig de Voltaire ou à L’Enlèvement au sérail de Mozart. Mais l’Orient n’y est qu’un décor, et c’est la femme italienne, vigoureusement défendue ici par le personnage d’Isabella, que l’on entend célébrer.

L’Orient, une quête fantasmée.
Le mythe oriental, rêve fantasmé d’une terre d’Orient, matrice du monde, terre des origines, a inspiré depuis la fin du XVIIe siècle, de nombreux artistes, tant dans le monde de la musique, de la peinture, de la littérature et de la danse que celui des explorateurs et savants comme Champollion ou encore Pierre Mariette, égyptologue français qui a dégagé et sauvegardé la plupart des grands sites d’Egypte et de Nubie.
Ce monde méditerranéen a toujours suscité, depuis l’époque des Croisades, une réelle fascination pour les occidentaux qui ont tout de suite donné à cet espace du Levant, lieu sacré où se lève le Soleil, une dimension symbolique caractérisant également l’Aube des civilisations de l’Egypte, la Turquie, la Palestine, la Syrie, monde musulman, juif et chrétien et Empire Turc ottoman au début du XIVe siècle. La musique de la fin du XVIIe siècle va refléter ce goût pour l’Orient.

Ainsi, à la cour de Versailles, en témoignera la comédie-ballet de Molière et Lully, Le Bourgeois Gentilhomme (1670), traçant un exotisme musical et théâtral de cette pièce. On a tous en mémoire, certaines scènes de « turqueries », au cours de laquelle Monsieur Jourdain se trouvera élevé au rang de Grand Mamamouchi, au cours d’une savoureuse cérémonie turque. D’autres artistes inscriront des œuvres dans cette veine orientale, tel Mozart et sa célèbre Marche Turque (1778), son opéra Die Entfûhrung Aus Dem Serail (L’Enlèvement Au Sérail) 1782, ornementé d’instruments d’esprit turc, comme le piccolo, le triangle, les cymbales ou encore les timbales ; mais aussi un opéra de Gazzaniga Il Serraglio di Osmano (1784), et Gli intrighi del serraglio (1795).
Parmi les écrivains, Montesquieu publiera Les Lettres Persanes en 1721 et Victor Hugo écrira dans Les Orientales (1829) : « Au siècle de Louis XVI, on était helléniste, maintenant, on est orientaliste. Il y a un pas de fait. Jamais tant d’intellgences n’ont fouillé à la fois ce grand abîme de l’Asie… Le statu quo européen, déjà vermoulu et lézardé, craque du côté de Constantinople. Tout le continent penche à l’Orient. »

C’est au début du XIXe siècle que le terme « orientalisme » fait son apparition, donnant lieu parfois à des représentations fantaisistes, tout droit sorties des « contes des Mille Et Une Nuits », avec ses harems, ses palais et ses femmes langoureuses.
La peinture ne restera pas étrangère à ce phénomène et l’on rêvera aux bains turcs d’Ingres avec sa grande Odalisque (1814) ou encore la sensualité de son Odalisque à l’Esclave (1839) ; mais aussi de la volupté mêlée au luxe des Femmes d’Alger dans leur appartement (1834) de Delacroix.
L’idée de la Femme orientale fantasmée inspirera alors aux artistes, la réponse à leur questionnement des origines, évoquera le retour aux sources vers « notre berceau cosmogonique et intellectuel » comme l’écrira Gérard de Nerval.  La Femme occupe la place d’une muse, d’un genre nouveau, elle est inspiratrice du Désir. On parlera alors de « L’Orient fait femme » avec toute sa fascination inhérente élaborée par la mentalité collective occidentale, en quête de soi.

Lorsque quelques années plus tard, les Sultans dirigeront les provinces éloignées de l’Empire ottoman, Rossini écrira L’Italiana in Algeri, peinture d’un Orient sorti tout droit de l’imaginaire, dans la plus pure veine musicale des « opéras turcs », très à la mode à l’époque et qui le resteront durant des décennies.
Si l’on ne devait retenir qu’un seul mot pour cet ouvrage, ce serait le mot Désir, qui se conjugue à tous les modes, et le terme « virtuosité bouffe », qui dépasse de loin le rythme de la parole de cette histoire qui débute dans une vie morne au quotidien pour atteindre le sérail des fantasmes rêvés. Charlyne Blaise