Peut-on lutter contre la bêtise ?

Préparation à la dissertation :

Peut-on lutter contre la bêtise ?

 

On peut s’aider d’expressions communes.
Ex : Faire des bêtises, bête comme ses pieds, qui veut faire l’ange fait la bête (Pascal),

On peut s’aider des mots voisins, des mots de la même famille, des mots proches ou des synonymes.
Ex : Faire des conneries (vulgaire), des sottises, faire des erreurs (erreurs d’inattention), des fautes (raconter des mensonges), chercher les nuances, les glissements de sens, les contextes pour cerner une définition exacte du mot « bêtise ».

 

On remarque que le singulier est l’article défini la (?une/des/les)
lutter contre LA bêtise signifie lutter contre LA bêtise en général, une spécificité, une caractéristique de quelque chose (d’un acte ?) que l’on peut réprimer. On suppose qu’il existe un ensemble d’actes ou de faits que l’on puisse ranger dans cette catégorie, ou nommer Bêtise. On suppose que la bêtise existe et qu’elle est répréhensible, quelque chose de négatif, quelque chose contre lequel on doit lutter, voire détruire, supprimer.

 

On se demande dans quel domaine on fait des bêtises. Est ce relativement à la connaissance ou à la pratique, à la morale ? Qui fait des bêtises ? Qui lutte contre ? Y a-t-il un critère pour juger nos bêtises ? Y a-t-il un juge extérieur à nous même capable de décider de l’ampleur de la lutte ?  Faut-il faire appel à un arbitre, à un justicier ? Toute bêtise est-elle condamnable ?

Si il faut lutter contre la bêtise, quels sont les moyens et les capacités pour lutter contre ? Est-ce l’intelligence ? La réprimande morale ? La bonne conscience ? Les bons sentiments ?

Pourquoi lutter contre la bêtise, quel est l’intérêt, la finalité du combat ? Y-aura-t-il un vainqueur ? On sous entend que la bêtise doit être vaincue. On suppose que l’on possède une arme pour lutter contre la bêtise.

La bêtise est-elle l’ignorance ? Admet-elle des degrés ? A quoi se mesure-t-elle ? Est-ce au pied comme le suggère l’expression qui sous entend que d’autres parties du corps sont exempte de la lutte ?

Aristote affirmait que l’homme a des mains parce que l’homme est intelligent, il confond la fonction et l’organe ;  peut on le transposer en disant que l’homme a des pieds parce qu’il est bête ? La bêtise serait alors le propre du seul animal Bipède. Or faut-il rapprocher la bêtise de la bête ? Faire des bêtises est-ce se comporter comme des bêtes ? Comparer la dignité de l’homme, son intelligence à l’animal.

D’un autre côté la bêtise n’est pas condamnable parce qu’elle peut nous faire avancer. On peut faire une bêtise et se corriger. En ce sens elle est assimilée à l’erreur. Mais si on ne se corrige pas, nous pouvons devenir bête, il faut donc que la bêtise soit reconnue comme une bêtise. Le paradoxe est donc que celui qui est bête est celui qui ne reconnaît pas ses bêtises, il ne sait pas qu’il est bête. En ce sens il est tout autant difficile de lutter contre la bêtise que contre une illusion. Il est rare que l’on s’avoue à soi-même que l’on a fait des bêtises, il est plus facile de reconnaître, de dénoncer et de lutter contre celles des autres. L’adulte qui réprimande l’enfant fait lui même comme si il savait ce qui est bête ou non. Il dénonce les bêtises infantiles sous couvert du principe d’autorité. Lutter contre la bêtise suppose alors un rapport de force, un pouvoir mais ce pouvoir n’est pas fondé, n’est pas moral s’il repose sur la simple appréciation subjective de ce qui est bête ou non. Il y a donc un problème pour juger la bêtise avant même de la combattre. Il semble que nul ne soit à même de la reconnaître, de la désigner. Lutter contre la bêtise suppose de l’objectivité et suppose aussi qu’elle se laisse définir.

 

« L’homme n’est ni ange ni bête et le malheur veut que qui veut faire l’ange fait la bête. » Pascal

« Anaxagore prétend que c’est parce qu’il a des mains que l’homme est le plus intelligent des animaux. Ce qui est rationnel plutôt, c’est de dire qu’il a des mains parce qu’il est intelligent. En effet, l’être le plus intelligent est celui qui est capable d’utiliser le plus grand nombre d’outils : or la main semble bien être non pas un outil, mais plusieurs. Car elle est pour ainsi dire un outil qui tient lieu des autres. C’est donc à l’être capable d’acquérir le plus grand nombre de techniques que la nature a donné l’outil de loin le plus utile, la main. Aussi ceux qui disent que l’homme n’est pas naturellement bien constitué, qu’il est le plus désavantagé des animaux, parce qu’il est sans chaussures, qu’il est nu et n’a pas d’armes pour combattre, sont dans l’erreur. Car les autres animaux n’ont chacun qu’un seul moyen de défense, et il ne leur est pas possible d’en changer. Ils sont forcés, pour ainsi dire, de garder leurs chaussures pour dormir comme pour faire tout le reste, il leur est interdit de déposer l’armure qu’ils ont autour du corps et de changer l’arme qu’ils ont reçue en partage. L’homme, au contraire, possède de nombreux moyens de défense, et il lui est toujours permis d’en changer, et même d’avoir l’arme qu’il veut quand il le veut. Car la main devient griffe, serre, corne, elle devient lance ou épée, ou toute autre arme ou outil. Elle peut être tout cela, parce qu’elle est capable de tout saisir et de tout tenir. La forme même que la nature a imaginée pour la main est adaptée à cette fonction. Elle est, en effet, divisée en plusieurs parties. Et le fait que ces parties peuvent s’écarter implique aussi pour elles la faculté de se réunir, tandis que la réciproque n’est pas vraie. Il est possible de s’en servir comme d’un organe unique, double ou multiple. »

Aristote, Des parties des animaux

 

« Quiconque veut parler de la bêtise ou tirer quelque profit de tels propos doit partir de l’hypothèse qu’il n’est pas bête lui-même ; c’est-à-dire proclamer qu’il se juge intelligent, bien que cela même passe généralement pour une marque de bêtise  » (Robert Musil, « De la bêtise », in Essais, trad. par Ph. Jaccottet, Paris, Seuil, 1984, p. 299)

 

Clément ROSSET, dans un essai philosophique célèbre Le réel, traité de l’idiotie , tente de nous donner des éclaircissements sur le phénomène de  » l’idiotie  » en liaison avec  » la sottise  »

Il définit ainsi :

[…]  » Idiotès, idiot, signifie simple, particulier, unique ; puis par une extension sémantique dont la signification philosophique est de grande portée, personne dénuée d’intelligence, être dépourvu de raison.

Toute chose, toute personne sont ainsi idiotes dès lors qu’elles n’existent qu’en elles-mêmes, c’est à dire sont incapables d’apparaître autrement que là où elles sont et telles qu’elles sont : incapables donc, et en premier lieu, de se refléter, d’apparaître dans le double du miroir.

Or, c’est le sort finalement de toute réalité que de ne pouvoir se dupliquer sans devenir autre : l’image offerte par le miroir n’est pas superposable à la réalité qu’elle suggère. […]

[…]  » Le monde, tous les corps qu’il contient, manquent à jamais de leur complément en miroir. Ils sont à jamais idiots. « . […] (p. 42-43, Le réel, Traité de l’idiotie, Clément ROSSET/ C.R)

Et c’est  » la grandiloquence  » qui est, selon ROSSET, l’expression, de  » la bêtise  » :

[…]  » Grandiloquus, terme forgé par Cicéron, désigne l’association de la parole (loqui) et de l’énormité (grandis).  » […]. (p. 84, ibid.)

[…]  » La grandiloquence est généralement et assez justement considérée comme une manière d’exagération, une façon d’en dire plus qu’il ne serait juste pour décrire une situation, un sentiment, un objet quelconques. L’origine latine du mot y autorise d’ailleurs : le  » grandi-loquent  » n’a que des grands mots à la bouche, il présente comme très grand et très important quelque chose qui, considéré plus calmement, apparaîtrait aussitôt sous les auspices de l’anodin et du petit.

Technique de la boursouflure donc, de l’ampoulé, de l’excès : gonflant démesurément le  » volume  » de ce dont elle parle, la grandiloquence transforme le petit en grand et l’insignifiant en signifiant, ce qui permet accessoirement à l’homme de s’y forger un destin et de s’y figurer une importance.  » […] (p. 83, ibid.)

[…]  » Le propre de la grandiloquence – ou d’un certain pouvoir des mots – est ainsi moins d’amplifier le réel (en faisant quelque chose de rien) que de l’escamoter (en faisant rien de quelque chose).

[…]  » Il n’est pas du tout évident que la sottise doive être définie en fonction de et par rapport à l’intelligence. Il est possible que la question de la sottise soit une question autonome, sans rapports ni frontières communes avec la question de l’intelligence.

Ignorer cette hétéronomie des deux questions, poser d’emblée l’implication de la sottise et de l’intelligence (c’est à dire faire de la sottise un défaut d’intelligence, assimilant sottise et  » inintelligence « ), reviendrait ainsi à brouiller les cartes, à entretenir une vieille confusion peut-être responsable tant du caractère impénétrable de la sottise que du caractère généralement décevant des études qui lui sont consacrées.

La sottise est donc généralement assimilée à l’inintelligence, considérée comme le contraire de l’intelligence. Ainsi opposera-t-on volontiers, à l’intelligence attentive, agile, vigilante, une sottise considérée comme endormie, anesthésiée, momifiée  » […] (p. 144, ibid.)

[…]  » On dit […] sans le savoir une vérité profonde lorsqu’on dit d’un imbécile qu’il est positivement crétin : car c’est son activisme qui caractérise l’imbécile, et non la passivité ; en sorte qu’il faut distinguer radicalement entre la simple négativité de l’inintelligence et l’indiscutable positivité de la sottise.  » […]

[…]  » L’inintelligence subit, la sottise agit : elle garde toujours l’initiative. L’inintelligence est en retrait, se dérobe à un message auquel elle n’entend rien. La sottise, elle, va toujours de l’avant. L’inintelligence n’est qu’un refus, ou plutôt une impossibilité de participation ; la sottise se manifeste, au contraire, par un perpétuel engagement.

L’inintelligence ferme des portes : elle signale l’interdiction de certaines voies d’accès à telle ou telle connaissance, rétrécissant ainsi le champ de l’expérience.

La sottise ouvre à tout : faisant de n’importe quoi un objet d’attention et d’engagement possible, elle fournit de l’occupation pour la vie (occupation dont Bouvard et Pécuchet font l’expérience grisante).[…]

[…] Décidément, la question de la sottise n’a rien à voir avec celle de l’intelligence ou de la non-intelligence. Intelligence et inintelligence dune part, sottise et non-sottise d’autre part, n’ont véritablement rien en commun, pas même d’être contraire. […]  » (p. 145, ibid.)

 

 

Une réflexion sur « Peut-on lutter contre la bêtise ? »

  1. La…sottise? (vingt-huit siècles qu’ on en parle). tout est dit ou presque dans ce petit livre de Lucien Jerphagnon. Picorons quelques perles: « C’ est, en effet, une famille innombrable, celle des sots » Platon, « La plupart des humains sont des sots ça on le sait » Saint Augustin, « amis vous noterez que dans le monde il y a plus de couillons que d’ hommes. souvenez vous en » Rabelais, « Cette vaste république des sots dont Trissotin est citoyen d’ honneur » V. Jankélévitch…et d’ autres. J’ ajouterai que ceux qui ont écrit ça se sont beaucoup regardés dans la glace…essayez et concluez…

Laisser un commentaire