Brève histoire de l’argent

Les historiens s’accordent à penser que c’est vers 650, donc dans le temps de la révolution hoplitique, que la monnaie fut inventée

Hérodote affirme au livre I,93 de son Histoire, dans les pages qu’il consacre au roi de Lydie, Crésus, que « de tous les peuples que nous connaissions, [les Lydiens] sont les premiers qui aient frappé, pour leur usage, des monnaies d’or et d’argent, et les premiers aussi qui aient fait le métier de revendeurs». L’usage des métaux précieux, or et argent surtout, était courant avant cette date mais il était strictement religieux ; les objets précieux qu’on offraient aux dieux ou en cadeaux d’hospitalité, de même que les prix reçus lors des jeux, étaient chargés de vertus surnaturelles. Ils avaient moins une valeur d’échange qu’une valeur sacrée et symbolique. Leur circulation était l’objet d’un «commerce religieux».
L’invention des Lydiens désacralise l’or et l’argent. Elle modifie aussi radicalement la conception de la richesse qui ne consiste plus en la possession de troupeaux ou de terres. Le processus de laïcisation dont la monnaie est le reflet représente aussi un énorme effort d’abstraction. Comme un hoplite égale un hoplite, une unité monétaire égale une unité monétaire. La pièce de monnaie métallique est un simple moyen d’échange sans valeur propre mais dont toute la valeur est dans la facilité de la faire circuler. C’est une conception toute nouvelle de la valeur qui se fait alors jour.

Trois siècles après Crésus, roi inventeur de la monnaie selon Hérodote, Aristote a une exacte conscience de l’abstraction requise par l’usage de la monnaie et il peut écrire « la monnaie est une sorte d’intermédiaire qui sert à apprécier toutes choses en les ramenant à une valeur commune […] en soi, il serait impossible, pour des objets si différents [que sont des chaussures et des maisons] de les rendre commensurables entre eux mais pour l’usage courant, on y parvient d’une manière satisfaisante. Il suffit de trouver un étalon quel qu’il soit et en vertu d’une convention ».

Cette citation un peu longue d’Aristote permet de mesurer le chemin parcouru au terme du processus que nous examinons. La pièce de métal précieux n’a plus aucune valeur sacrée aux yeux du philosophe du quatrième siècle, elle n’est définie que comme un instrument commode pour rationaliser les échanges.

cf. Les origines de la pensée grecque de J.-P. Vernant et La notion mythique de la valeur en Grèce de L. Gernet

Laisser un commentaire