HUMANITÉS, LITTÉRATURE et PHILOSOPHIE Jour 1


SUJET 1

L’AFFAIRE NARCISSE
Narcisse fils de Céphise 1 n’est plus depuis des montagnes de temps
En nos âges il n’est plus de ces Narcisse-là
Seule une fleur nous reste
Et pourtant nous avons des miroirs autrement plus parfaits que la fontaine
Où s’admira ce trop joli garçon
Ne dirai point que ne suis jamais venu devant ma glace
Au cours de mon printemps de mon été même des froides saisons qui suivent
Mais pas une fois ne me suis dit celui-là c’est moi
Or bien hier
Sans doute disons
Glace parfaite
Lumière magnifique
Et temps à perdre
Celui-là fut moi
Je l’ai vu totalement vu
Et j’ai dû me dire et me redire tant que j’ai pu
Cet homme qui est là devant c’est toi complètement toi
De la tête aux pieds et quelle découverte moi je suis fait comme tout homme est fait
Et pourtant ne ressemble à aucun
Toutefois ne sais si vais m’aimer autant que je m’aimais avant de me connaître
Enfin c’est agréable tout de même de se savoir pièce unique
Et n’oublions pas que chaque être humain peut en dire autant
A bien regarder Narcisse avait raison
Un homme ça vaut la peine d’être vu
Pierre ALBERT-BIROT, « L’affaire Narcisse », Poésies (1926)
1 Personnage de la mythologie grecque, fils de la nymphe Liriope et du fleuve Céphise, Narcisse est doté
d’une grande beauté. Indifférent à l’admiration qu’on lui voue, il aperçoit un jour son reflet dans l’eau et en tombe amoureux. A force d’auto-contemplation, il finit par mourir, et est métamorphosé en fleur.
Première partie : interprétation littéraire
« L’affaire Narcisse » : comment votre lecture du poème éclaire-t-elle ce titre ?
Deuxième partie : essai philosophique
Se connaître soi-même, est-ce se découvrir « pièce unique » ?


SUJET 2

Que la violence soit de toujours et de partout, il n’est que de regarder comment s’édifient et s’écroulent les empires, s’installent les prestiges personnels, s’entre-déchirent les religions, se perpétuent et se déplacent les privilèges de la propriété et du pouvoir, comment même se consolide l’autorité des maîtres à penser, comment se juchent 1 les jouissances culturelles des élites sur le tas des travaux et des douleurs des déshérités.
On ne voit jamais assez grand quand on prospecte l’empire de la violence ; c’est pourquoi
une anatomie de la guerre qui se flatterait d’avoir découvert trois ou quatre grosses ficelles
qu’il suffirait de couper pour que les marionnettes militaires retombent inertes sur les
tréteaux condamnerait le pacifisme à rester superficiel et puéril. Une anatomie de la guerre
requiert la tâche plus vaste d’une physiologie de la violence.
Il faudrait aller chercher très bas et très haut les complicités d’une affectivité humaine
accordée au terrible dans l’histoire. La psychologie sommaire de l’empirisme qui gravite
autour du plaisir et de la douleur, du bien-être et du bonheur, omet l’irascible 2 , le goût de
l’obstacle, la volonté d’expansion, de combat et de domination, les instincts de mort et
surtout cette capacité de destruction, cet appétit de catastrophe qui est la contrepartie de
toutes les disciplines qui font de l’édifice psychique de l’homme un équilibre instable et
toujours menacé. Que l’émeute explose dans la rue, que la patrie soit proclamée en danger, quelque chose en moi est rejoint et délié, à quoi ni le métier, ni le foyer, ni les quotidiennes tâches civiques ne donnaient issue ; quelque chose de sauvage, quelque chose de sain et de malsain, de jeune et d’informe, un sens de l’insolite, de l’aventure, de la disponibilité, un goût pour la rude fraternité et pour l’action expéditive, sans médiation juridique et administrative. L’admirable est que ces dessous de la conscience resurgissent au niveau des plus hautes couches de la conscience : ce sens du terrible est aussi le sens idéologique ; soudain la justice, le droit, la vérité prennent des majuscules en prenant les armes et en s’auréolant de sombres passions.
Paul RICOEUR, Histoire et vérité (1955).
1 « se juchent » : se hissent
2 « irascible » : qui se met facilement en colère

Première partie : interprétation philosophique
D’après l’auteur, qu’est-ce qui explique la permanence de la violence dans l’histoire ?
Deuxième partie : question d’essai littéraire
La littérature et les arts naissent-ils de « l’appétit de catastrophe » des hommes ?