La religieuse

Mardi 2 avril, classe TSTLC Cinéma UTOPIA
ATTENTION la SÉANCE est à 9 heures !
Un film de Guillaume Nicloux d’après l’œuvre de Denis Diderot
Avec : Pauline Etienne, Isabelle Huppert, Louise Bourgoin, Françoise Lebrun, Lou Castel…
Pays : France, Allemagne, Belgique / Durée : 1H54
Synopsis : XVIIIème siècle. Suzanne, 16 ans, est contrainte par sa famille à rentrer dans les ordres, alors qu’elle aspire à vivre dans « le monde ». Au couvent, elle est confrontée
à l’arbitraire de la hiérarchie ecclésiastique : mères supérieures tour à tour bienveillantes,
cruelles ou un peu trop aimantes… La passion et la force qui l’animent lui permettent de résister à la barbarie du couvent, poursuivant son unique but : lutter par tous les moyens pour retrouver sa liberté
Texte de Denis Diderot,
La Religieuse
Voilà l’effet de la retraite. L’homme est né pour la société ; séparez-le, isolez-le, ses idées se désuniront, son caractère se tournera, mille affections ridicules s’élèveront dans son cœur ; des pensées extravagantes germeront dans son esprit, comme les ronces dans une terre sauvage. Placez un homme dans une forêt, il y deviendra féroce ; dans un cloître, où l’idée de nécessité se joint à celle de servitude, c’est pis encore. On sort d’une forêt, on ne sort plus d’un cloître ; on est libre dans la forêt, on est esclave dans le cloître. Il faut peut-être plus de force d’âme encore pour résister à la solitude qu’à la misère ; la misère avilit, la retraite déprave. Vaut-il mieux vivre dans l’abjection que dans la folie ? C’est ce que je n’oserais décider ; mais il faut éviter l’une et l’autre.

Folio Classique p. 196

Camille Claudel

Nous irons au cinéma UTOPIA mardi 2 avril, séance à 10 heures.

[youtube]http://www.youtube.com/watch?v=YHuMS3w5RdE[/youtube]

Les trois jours que Camille Claudel, enfermée dans un asile du sud de la France, passe à attendre la venue de son frère, le diplomate, poète et dramaturge Paul Claudel.

Thèmes au delà de l’aliénation et de l’enfermement, la question de l’art, la passion, la relation à Dieu, le corps, la matière et l’esprit, le désir. Suite du travail entrepris lors de la séance sur le film Augustine et qui se terminera pas la visite de l’exposition Camille Claudel à l’hopital de Montfavet le 7 mai.

[Camille Claudel 1915 de Bruno Dumont. 2012. Durée : 1 h 35. Distribution : ARP Sélection.

Compte rendu de la séance

Divine

CDC Les hivernales mardi 22 janvier à 19 heures

Notre-Dame-des-Fleurs, écrit en 1942 par Jean Genet, raconte la vie d’un assassin de 16 ans à la beauté fulgurante. Et sa relation avec un travesti nommé Divine, incarné à merveille par Daniel Larrieu, mis en scène par Gloria Paris. Par un aller/ retour permanent entre le texte et la danse, cette variation théâtrale chorégraphiée offre une plongée immédiate dans le monde homosexuel et ambigu du Paris d’avant-guerre. Le corps du danseur-acteur devient lieu de passage, un pont entre masculin/féminin, réalité/fantasmagorie, parole/ mouvement. Jamais Genet n’avait eu un plus bel interprète et Larrieu un plus beau défi.

Les passions de Casanova

« Ma mère me mit au monde à Venise le 2 d’Avril jour de Pâques de l’an 1725. Elle eut la veille une grosse envie d’écrevisse. Je les aime beaucoup. » Giacomo Casanova

Il était une fois un « homme de plaisir et de passions, typique dévorateur de chaque moment, et qui plus est, favorisé par le destin d’aventures fantastiques, par l’esprit d’une mémoire démoniaque et par le caractère d’une absence absolue de scrupules. »
(S. Zweig, Trois poètes de leur vie, Livre de Poche, p. 136)

Le nom de Casanova a longtemps été synonyme d’« homme à femmes », un Casanova ou un Don Juan étant des termes plus ou moins interchangeables. S’il y a une différence dans la manière dont ces deux personnages conçoivent la séduction, il n’y a aucune commune mesure dans leur statut : Don Juan est une création légendaire, Casanova a été créé par Casanova lui-même, aussi talentueux pour l’art de la mise en scène que pour l’allant de la narration.

Le jeu, les femmes, la musique, l’aventure, la lecture, la liberté… à vous de partir à la découverte du monde sensuel, audacieux et baroque de Casanova.

http://expositions.bnf.fr/casanova/

« Je considère les Mémoires de Casanova comme la véritable Encyclopédie du 18e siècle […]
ce grand vivant de Casanova. qui connaissait tout le monde, les gens, et la façon de vivre de toutes les classes de la société dans les pays d’Europe, et la route et les hostelleries,
les bordels, les tripots, les chambrières, les filles de banquiers, et l’impératrice de Russie pour qui il avait fait un calendrier, et la reine de France qu’il avait interviewée, et les
comédiennes et les chanteuses d’opéra, Casanova qui passait aux yeux de la police pour un escroc dangereux et dans les salons pour un beau joueur ou un sorcier, le brillant chevalier de Seingalt, chevalier d’industrie, qui fréquentait les ouvriers, les artisans, les brodeuses, les marchandes à la toilette, le petit peuple des rues, cochers et porteurs d’eau, avec qui il était à tu et à toi comme avec le Prince de Ligne […] qui se mourait d’impatience pour avoir la suite de ses Mémoires […].
Casanova a même échappé à l’emprise des professeurs, des thèses, de l’Université, c’est pourquoi il est un éducateur incomparable de la jeunesse qui aimera toujours la vie et l’amour, les femmes et le vin, les aventures et la réussite, l’insubordination et le jeu, la société où l’on s’encanaille et le monde, les affaires d’honneur qui comportent un grain de
folie, une entreprise aussi désespérée que celle de l’évasion des Plombs de Venise, l’argent que l’on jette par les fenêtres, un corps bien exercé et la façon de s’en servir avec esprit
sinon avec scrupules, et comme notre bel aventurier n’a écrit dans aucune langue avouable, il ne peut être réclamé par aucune nation pour être déformé officiellement, réformé. Casanova a toujours couru sa chance et continue…
Blaise Cendrars, Pro Domo, 1949

La passion : à vous !

La passion : à vous …avec J.-J. Rousseau

Trouvez les problématiques des textes suivants (3° sujets du bac) :

 

Le penchant de l’instinct est indéterminé. Un sexe est attiré vers l’autre, voilà le mouvement de la nature. Le choix, les préférences, l’attachement personnel sont l’ouvrage des lumières, des préjugés, de l’habitude ; il faut du temps et des connaissances pour nous rendre capables d’amour, on n’aime qu’après avoir jugé, on ne préfère qu’après avoir comparé. Ces jugements se font sans qu’on s’en aperçoive, mais ils n’en sont pas moins réels. Le véritable amour, quoi qu’on en dise, sera toujours honoré des hommes ; car, bien que ses emportements nous égarent, bien qu’il n’exclue pas du coeur qui le sent des qualités odieuses et même qu’il en produise, il en suppose pourtant toujours d’estimables sans lesquelles on serait hors d’état de le sentir. Ce choix qu’on met en opposition avec la raison nous vient d’elle : on a fait l’amour aveugle parce qu’il a de meilleurs yeux que nous, et qu’il voit des rapports que nous ne pouvons apercevoir. Pour qui n’aurait e idée de mérite ni de beauté, toute femme serait également bonne, et la première venue serait toujours la plus aimable. Loin que l’amour vienne de la nature, il est la règle et le frein de ses penchants.

ROUSSEAU

 

Malheur à qui n’a plus rien à désirer ! il perd pour ainsi dire tout ce qu’il possède. On jouit moins de ce qu’on obtient que de ce qu’on espère, et l’on n’est heureux qu’avant d’être heureux. En effet, l’homme avide et borné, fait pour tout vouloir et peu obtenir, a reçu du ciel une force consolante qui rapproche de lui tout ce qu’il désire, qui le soumet à son imagination, qui le lui rend présent et sensible, qui le lui livre en quelque sorte, et pour lui rendre cette imaginaire propriété plus douce, le modifie au gré de sa passion. Mais tout ce prestige disparaît devant l’objet même; rien n’embellit plus cet objet aux yeux du possesseur ; on ne se figure point ce qu’on voit; l’imagination ne pare plus rien de ce qu’on possède, l’illusion cesse où commence la jouissance. Le pays des chimères est en ce monde le seul digne d’être habité et tel est le néant des choses humaines, qu’hors l’Être existant par lui-même, il n’y a rien de beau que ce qui n’est pas. Si cet effet n’a pas toujours lieu sur les objets particuliers de nos passions, il est infaillible dans le sentiment commun qui les comprend toutes. Vivre sans peine n’est pas un état d’homme; vivre ainsi c’est être mort. Celui qui pourrait tout sans être Dieu, serait une misérable créature ; il serait privé du plaisir de désirer ; toute autre privation serait plus supportable.  ROUSSEAU

 

C’est une des singularités du coeur humain que malgré le penchant qu’ont tous les hommes à juger favorablement d’eux-mêmes, il y a des points sur lesquels ils s’estiment encore plus méprisables qu’ils ne sont en effet. Tel est l’intérêt qu’ils regardent comme leur passion dominante, quoiqu’ils en aient une autre plus forte, plus générale, et plus facile à rectifier, qui ne se sert de l’intérêt que comme d’un moyen pour se satisfaire; c’est l’amour des distinctions. On fait tout pour s’enrichir, mais c’est pour être considéré qu’on veut être riche. Cela se prouve en ce qu’au lieu de se borner à cette médiocrité qui constitue le bien-être chacun veut parvenir à ce degré de richesse qui fixe tous les yeux, mais qui augmente les soins et les peines et devient presque aussi à charge que la pauvreté même. Cela se prouve encore par l’usage ridicule que les riches font de leurs biens. Ce ne sont point eux qui jouissent de leurs profusions et elles ne sont faites que pour attirer les regards et l’admiration des autres. Il est assez évident que le désir de se distinguer est la seule source du luxe de magnificence, car quant à celui de mollesse il n’y a qu’un bien petit nombre de voluptueux qui sachent le goûter et lui laisser la douceur et toute la simplicité dont il est susceptible. C’est donc ainsi qu’on voit par le même principe toutes les familles travailler sans cesse à s’enrichir et à se ruiner alternativement. C’est Sisyphe qui sue sang et eau pour porter au sommet d’une montagne le rocher qu’il en va faire rouler le moment d’après. ROUSSEAU

 

«Quoi qu’en disent les moralistes, l’entendement humain doit beaucoup aux passions, qui, d’un commun aveu, lui doivent beaucoup aussi: c’est par leur activité que notre raison se perfectionne; nous ne cherchons à connaitre que parce que nous désirons de jouir, et il n’est pas possible de concevoir pourquoi celui qui n’aurait ni désirs ni craintes se donnerait la peine de raisonner. Les passions, à leur tour, tirent leur origine de nos besoins, et leur progrès de nos connaissances; car on ne peut désirer ou craindre les choses que sur les idées qu’on en peut avoir, ou par la simple impulsion de la nature; et l’homme sauvage, privé de toute sorte de lumières, n’éprouve que les passions de cette dernière espèce; ses désirs ne passent pas ses besoins physiques ; les seuls biens, qu’il connaisse dans l’univers sont la nourriture, une femelle et le repos; les seuls maux qu’il craigne sont la douleur et la faim; je dis la douleur et non la mort; car jamais l’animal ne saura ce que c’est que mourir, et la connaissance de la mort, et de ses terreurs, est une des premières acquisitions que l’homme ait faites, en s’éloignant de la condition animale.» Rousseau, Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes

Comment réprimer la passion même la plus faible, quand elle est sans contrepoids? Voilà l’inconvénient des caractères froids et tranquilles: tout va bien tant que leur froideur les garantit des tentations ; mais s’il en survient une qui les atteigne, ils sont aussitôt vaincus qu’attaqués; et la raison, qui gouverne tandis qu’elle est seule, n’a jamais de force pour résister au moindre effort. Je n’ai été tenté qu’une fois et j’ai succombé. Si l’ivresse de quelque autre passion m’eût fait vaciller encore, j’aurais fait autant de chutes que de faux pas. Il n’y a que des âmes de feu qui sachent combattre et vaincre; tous les grands efforts, toutes les actions sublimes sont leur ouvrage : la froide raison n’a jamais rien fait d’illustre et l’on ne triomphe des passions qu’en les opposant l’une à l’autre. Quand celle de la vertu vient à s’élever, elle domine seule et tient tout en équilibre. Voilà comment se forme le vrai sage, qui n’est pas plus qu’un autre à l’abri des passions, mais qui seul sait les vaincre par elles-mêmes, comme un pilote faite route par les mauvais vents.

ROUSSEAU

 

« L’amour de soi, qui ne regarde qu’à nous, est content quand nos vrais besoins sont satisfaits ; mais l’amour-propre, qui se compare, n’est jamais content et ne saurait l’être, parce que ce sentiment, en nous préférant aux autres, exige aussi que les autres nous préfèrent à eux, ce qui est impossible. Voilà comment les passions douces et affectueuses naissent de l’amour de soi, et comment les passions haineuses et irascibles naissent de l’amour-propre. Ainsi, ce qui rend l’homme essentiellement bon est d’avoir peu de besoins et de peu se comparer aux autres ; ce qui le rend essentiellement méchant est d’avoir beaucoup de besoins et de tenir beaucoup à l’opinion. Sur ce principe, il est aisé de voir comment on peut diriger au bien ou au mal toutes les passions des enfants et des hommes. Il est vrai que ne pouvant vivre toujours seuls, ils vivront difficilement toujours bons : cette difficulté même augmentera nécessairement avec leurs relations, et c’est en ceci surtout que les dangers de la société nous rendent les soins plus indispensables pour prévenir dans le cœur humain la dépravation qui naît de ses nouveaux besoins. » Jean-Jacques ROUSSEAU, Émile, Livre quatrième.

La discrimination de nos désirs

Il faut se rendre compte que parmi nos désirs les uns sont naturels, les autres vains, et que, parmi les désirs naturels, les uns sont nécessaires et les autres naturels seulement. Parmi les désirs nécessaires, les uns sont nécessaires pour le bonheur, les autres pour la tranquillité du corps, les autres pour la vie même. Et en effet une théorie non erronée des désirs doit rapporter tout choix et toute aversion à la santé du corps et à l’ataraxie de l’âme, puisque c’est là la perfection même de la vie heureuse. Car nous faisons tout afin d’éviter la douleur physique et le trouble de l’âme. Lorsqu’une fois nous y avons réussi, toute l’agitation de l’âme tombe, l’être vivant n’ayant plus à s’acheminer vers quelque chose qui lui manque.Le désir déréglé, non soumis à la norme de nature, enfante une infinie chimère, un rêve éternellement insatisfait: il déplace le besoin sans l’apaiser. Tout, une fois éprouvé, devient manque., ni à chercher autre chose pour parfaire le bien-être de l’âme et celui du corps. Nous n’avons en effet besoin du plaisir que quand, par suite de son absence, nous éprouvons de la douleur ; et quand nous n’éprouvons pas de douleur nous n’avons plus besoin du plaisir
C’est pourquoi nous disons que le plaisir est le commencement et la fin de la vie heureuse.

 

Le même texte, une autre traduction :

 

Il est également à considérer que certains d’entre les désirs sont naturels, d’autres vains, et que si certains des désirs naturels sont nécessaires, d’autres ne sont seulement que naturels. Parmi les désirs nécessaires, certains sont nécessaires au bonheur, d’autres à la tranquillité durable du corps, d’autres à la vie même. Or, une réflexion irréprochable à ce propos sait rapporter tout choix et tout rejet à la santé du corps et à la sérénité de l’âme, puisque tel est le but de la vie bienheureuse. C’est sous son influence que nous faisons toute chose, dans la perspective d’éviter la souffrance et l’angoisse. Quand une bonne fois cette influence a établi sur nous son empire, toute tempête de l’âme se dissipe, le vivant n’ayant plus à courir comme après l’objet d’un manque, ni à rechercher cet autre par quoi le bien, de l’âme et du corps serait comblé. C’est alors que nous avons besoin de plaisir : quand le plaisir nous torture par sa non-présence. Autrement, nous ne sommes plus sous la dépendance du plaisir.

Voilà pourquoi nous disons que le plaisir est le principe et le but de la vie bienheureuse.

EPICURE, Lettre à Ménécée

Le désir qui provient de la joie est plus fort, toutes choses égales d’ailleurs, que le désir qui provient de la tristesse. Spinoza

Toute chose s’efforce – autant qu’il est en son pouvoir – de persévérer dans son être. L’effort par lequel toute chose s’efforce de persévérer dans son être n’est rien d’autre que l’essence actuelle de cette chose. Cet effort, en tant qu’il a rapport à l’âme seule, s’appelle : Volonté. Mais lorsqu’il a rapport en même temps à l’Âme et au Corps, il se nomme : Appétit. L’appétit, par conséquence, n’est pas autre chose que l’essence même de l’homme, de la nature de laquelle les choses qui servent à sa propre conservation résultent nécessairement ; et par conséquent, ces mêmes choses, l’homme est déterminé à les accomplir.
En outre, entre l’appétit et le désir il n’existe aucune différence, sauf que le désir s’applique, la plupart du temps, aux hommes lorsqu’ils ont conscience de leur appétit et, par suite, le désir peut être ainsi défini : « Le désir est un appétit dont on a conscience. »
Il est donc constant, en vertu des théorèmes qui précèdent, que nous ne nous efforçons pas de faire une chose, que nous ne voulons pas une chose, que nous n’avons non plus l’appétit ni le désir de quelque chose parce que nous jugeons que cette chose est bonne ; mais qu’au contraire nous jugeons qu’une chose est bonne parce que nous nous efforçons vers elle, que nous la voulons, que nous en avons l’appétit et le désir.

SPINOZA
Ethique

DÉMONSTRATION Le désir est l’essence même de l’homme (par la Déf. 1 des pass.), c’est-à-dire (en vertu de la Propos. 7, part. 3) l’effort par lequel l’homme tend à persévérer dans son être. C’est pourquoi le désir qui provient de la joie est favorisé ou augmenté par cette passion même (en vertu de la Déf. de la joie, qu’on peut voir dans le Schol. de la Propos. 11, part. 3). Au contraire, le désir qui naît de la tristesse est diminué ou empêché par cette passion même (en vertu du même Schol.) ; et par conséquent la force du désir qui naît de la joie doit être mesurée tout ensemble par la puissance de l’homme et par celle de la cause extérieure dont il est affecté, au lieu que la force du désir qui naît de la tristesse doit l’être seulement par la puissance de l’homme ; d’où il suit que celui-là est plus fort que celui-ci. C. Q. F. D.
SPINOZA Ethique

 

Rêver les yeux ouverts ?

Pour ce qui est maintenant du second argument, certes les affaires des hommes seraient en bien meilleur point s’il était également au pouvoir des hommes tant de se taire que de parler, mais, l’expérience l’a montré surabondamment, rien n’est moins au pouvoir des hommes que de tenir leur langue, et il n’est rien qu’ils puissent moins faire que de gouverner leurs appétits ; et c’est pourquoi la plupart croient que notre liberté d’action existe seulement à l’égard des choses où nous tendons légèrement, parce que l’appétit peut en être aisément contraint par le souvenir de quelque autre chose fréquemment rappelée ; tandis que nous ne sommes pas du tout libres quand il s’agit de choses auxquelles nous tendons avec une affection vive que le souvenir d’une autre chose ne peut apaiser. S’ils ne savaient d’expérience cependant que maintes fois nous regrettons nos actions et que souvent, quand nous sommes dominés par des affections contraires, nous voyons le meilleur et faisons le pire, rien ne les empêcherait de croire que toutes nos actions sont libres. C’est ainsi qu’un petit enfant croit librement appéter le lait, un jeune garçon en colère vouloir la vengeance, un peureux la fuite. Un homme en état d’ébriété aussi croit dire par un libre décret de l’Ame ce que, sorti de cet état, il voudrait avoir tu ; de même le délirant, la bavarde, l’enfant et un très grand nombre d’individus de même farine croient parler par un libre décret de l’Ame, alors cependant qu’ils ne peuvent contenir l’impulsion qu’ils ont à parler ; l’expérience donc fait voir aussi clairement que la Raison que les hommes se croient libres pour cette seule cause qu’ils sont conscients de leurs actions et ignorants des causes par où ils sont déterminés ; et, en outre, que les décrets de l’Ame ne sont rien d’autre que les appétits eux-mêmes et varient en conséquence selon la disposition variable du Corps. Chacun, en effet, gouverne tout suivant son affection, et ceux qui, de plus, sont dominés par des affections contraires, ne savent ce qu’ils veulent ; pour ceux qui sont sans affection, ils sont poussés d’un côté ou de l’autre par le plus léger motif. Tout cela certes montre clairement qu’aussi bien le décret que l’appétit de l’Ame, et la détermination du Corps sont de leur nature choses simultanées, ou plutôt sont une seule et même chose que nous appelons Décret quand elle est considérée sous l’attribut de la Pensée et expliquée par lui. Détermination quand elle est considérée sous l’attribut de l’Étendue et déduite des lois du mouvement et du repos, et cela se verra encore plus clairement par ce qui me reste à dire. Je voudrais en effet que l’on observât particulièrement ce qui suit : nous ne pouvons rien faire par décret de l’Ame que nous n’en ayons d’abord le souvenir. Par exemple, nous ne pouvons dire un mot à moins qu’il ne nous en souvienne. D’autre part, il n’est pas au libre pouvoir de l’Ame de se souvenir d’une chose ou de l’oublier. On croit donc que ce qui est au pouvoir de l’Ame, c’est seulement quand nous pouvons dire ou taire suivant son décret la chose dont il nous souvient. Quand cependant nous rêvons que nous parlons, nous croyons parler par le seul décret de l’Ame, et néanmoins nous ne parlons pas ou, si nous parlons, cela se fait par un mouvement spontané du Corps. Nous rêvons aussi que nous cachons aux hommes certaines choses, et cela par le même décret de l’Ame en vertu duquel pendant la veille nous taisons ce que nous savons. Nous rêvons enfin que nous faisons par un décret de l’Ame ce que, pendant la veille, nous n’osons pas. Je voudrais bien savoir, en conséquence, s’il y a dans l’Ame deux genres de décrets, les Imaginaires et les Libres ? Que si l’on ne veut pas aller jusqu’à ce point d’extravagance, il faudra nécessairement accorder que ce décret de l’Ame, cru libre, ne se distingue pas de l’imagination elle-même ou du souvenir, et n’est rien d’autre que l’affirmation nécessairement enveloppée dans l’idée en tant qu’elle est idée . Et ainsi ces décrets se forment dans l’Ame avec la même nécessité que les idées des choses existant en acte. Ceux donc qui croient qu’ils parlent, ou se taisent, ou font quelque action que ce soit, par un libre décret de l’Ame, rêvent les yeux ouverts.

Spinoza, ETHIQUE, Troisième partie, proposition 2

« Exister, [..] ne peut se faire sans passion. »

Quelle est la force par laquelle Don Juan séduit ? C’est celle du désir : l’énergie du désir sensuel. Dans chaque femme, il désire la féminité tout entière, et c’est en cela que se trouve la puissance, sensuellement idéalisante, avec laquelle il embellit et vainc sa proie en même temps. Le réflexe de cette passion gigantesque embellit et agrandit l’objet du désir qui rougit à son reflet, en une beauté supérieure. Comme le feu de l’enthousiaste illumine avec un éclat séduisant jusqu’aux premiers venus qui ont des rapports avec lui, ainsi, en un sens beaucoup plus profond, éclaire-t-il chaque jeune fille, car son rapport avec elle est essentiel. Et c’est pourquoi toutes les différences particulières s’évanouissent devant ce qui est l’essentiel : être femme. Il rajeunit les vieilles de telle sorte qu’elles entrent au beau milieu de la féminité, il mûrit les enfants presque en un clin d’oeil ; tout ce qui est féminin est sa proie. […] Écoutez Don Juan ; si, en l’écoutant, vous n’obtenez pas une idée de lui, vous ne l’obtiendrez jamais. Écoutez le début de sa vie. Comme la foudre sort des nuées ténébreuses de l’orage, ainsi s’élance-t-il des profondeurs du sérieux, plus rapide que la foudre, plus capricieux qu’elle et, pourtant, aussi sûr ; écoutez comme il se jette dans la richesse de la vie, comme il se brise contre son barrage inébranlable, écoutez ces sons de violon, légers et dansants, écoutez le signe de la joie, l’allégresse du plaisir, écoutez les délices solennelles de la jouissance ; écoutez sa fuite éperdue, – dans sa précipitation il se dépasse lui-même, toujours plus vite, de plus en plus irrésistible, écoutez les désirs effrénés de la passion, écoutez le murmure de l’amour, le chuchotement de la tentation, écoutez le tourbillon de la séduction, écoutez le silence de l’instant, – écoute, écoutez, écoutez Don Juan de Mozart.  KIERKEGAARD

Origine d’Éros

Dans le Banquet, Platon met en scène des convives qui sont invités à prononcer un discours sur l’Amour (Éros). Les convives ont bien festoyé lorsque Socrate prend la parole. Il rapporte alors un discours que lui aurait tenu une femme de Mantinée, Diotime, un prêtresse instruisant des « choses concernant l’amour ». Dans son discours, Diotime commence par expliquer que l’Amour n’est pas un dieu mais un démon, un être intermédiaire entre les dieux immortels et les hommes mortels. Cette nature démoniaque s’explique par ses origines, il est fils de pauvreté (Pénia) et d’expédient (Poros)

 

 

 

 

 

 

DIOTIME

[203b]
A la naissance de Vénus, il y eut chez les dieux un grand festin où se trouvait entre autres Poros , fils de Métis. Après le repas, Pénia s’en vint mendier quelques restes et se tint auprès de la porte. En ce moment, Poros, enivré de nectar (car on ne faisait pas encore usage du vin), sortit de la salle et entra dans le jardin de Jupiter, où le sommeil ne tarda pas à fermer ses yeux appesantis. Alors, Pénia, poussée par son état de pénurie, imagina d’avoir un enfant de Poros. [203c] Elle alla donc se coucher auprès de lui, et devint mère de l’Amour. C’est pourquoi l’Amour devint le compagnon et le serviteur de Vénus, ayant été conçu le jour même où elle naquit ; outre que de sa nature il aime la beauté, et que Vénus est belle.

Et maintenant comme fils de Poros et de Pénia, voici quel fut son partage : d’abord il est toujours pauvre, et, loin d’être beau et délicat, comme on le pense généralement, il est maigre, malpropre, sans chaussures, [203d] sans domicile, sans autre lit que la terre, sans couverture, couchant à la belle étoile auprès des portes et dans les rues ; enfin, comme sa mère, toujours dans le besoin. Mais, d’autre part, selon le naturel de son père, il est toujours à la piste de ce qui est beau et bon ; il est mâle, hardi, persévérant, chasseur habile, toujours machinant quelque artifice, désireux de savoir et apprenant avec facilité, philosophant sans cesse, enchanteur, magicien, sophiste. De sa nature il n’est ni mortel [203e] ni immortel ; mais, dans le même jour, il est florissant et plein de vie, tant qu’il est dans l’abondance, puis il s’éteint, pour revivre encore par l’effet de la nature paternelle. Tout ce qu’il acquiert lui échappe sans cesse, en sorte qu’il n’est jamais ni riche ni pauvre.

Il tient aussi le milieu entre la sagesse et l’ignorance : car aucun dieu ne philosophe ni [204a] ne désire devenir sage, puisque la sagesse est le propre de la nature divine ; et, en général, quiconque est sage ne philosophe pas. Il en est de même des ignorants, aucun d’eux ne philosophe ni ne désire devenir sage ; car l’ignorance a précisément le fâcheux effet de persuader à ceux qui ne sont ni beaux, ni bons, ni sages, qu’ils possèdent ces qualités : or nul ne désire les choses dont il ne se croit point dépourvu.

SOCRATE

Mais, Diotime, qui sont donc ceux qui philosophent, si ce ne sont ni les sages ni les ignorants ?

DIOTIME

Il est évident, [204b] même pour un enfant, dit-elle, que ce sont ceux qui tiennent le milieu entre les ignorants et les sages, et l’Amour est de ce nombre. La sagesse est une des plus belles choses du monde ; or l’Amour aime ce qui est beau ; en sorte qu’il faut conclure que l’Amour est amant de la sagesse, c’est-à-dire philosophe, et, comme tel, il tient le milieu entre le sage et l’ignorant. C’est à sa naissance qu’il le doit : car il est le fils d’un père sage et riche et d’une mère qui n’est ni riche ni sage. Telle est, mon cher Socrate, la nature de ce démon.

Quant à l’idée que tu t’en formais, il n’est pas étonnant qu’elle te fût venue ; [204c] car tu croyais, autant que j’ai pu le conjecturer par tes paroles, que l’Amour est ce qui est aimé et non ce qui aime. Voilà, je pense, pourquoi l’Amour te semblait très-beau ; car ce qui est aimable est la beauté réelle, la grâce, la perfection et le souverain bien. Mais ce qui aime est d’une tout autre nature, comme je viens de l’expliquer.